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L'Express: 13 Mai 1993 > La Rue > Le touriste étranger

Le touriste étranger
Jean Michel Laffont

Roissy-Charles-de-Gaulle. « Taxi ! » Casquette en bataille, ce vétéran du Jour J ira revoir Paris et sa Normandie. Il ne s'en doute pas, le brave Yankee: la France a encore besoin de lui. De lui et des 60 millions de touristes étrangers qui y débarquent chaque année. Record mondial. Un Hexagone entier en vadrouille, plus rentable en devises que tous nos régiments de moissonneuses, nos Airbus en batterie. La République doit bien un monument à ce héros méconnu: 23,6 % allemand, 20,3 % beneluxembourgeois, 13,7 % italien 12,5 % britannique, 3,2 % américain, 1 °% japonais, etc.

Etoile-Charles-de-Gaulle. Ils sont venus, ils ont vu. Sans s'inquiéter de l'Arc de Triomphe quadrupède où sont gravées à jamais nos « castagnes » (Maastricht comprise !) contre pas mal de leurs aïeux. Sur les Champs-Elysées, l'habituel défilé des tribus du monde. En short californien, en sari, en kilt (Ecosse-France), en cachemire pur Milano, en sosie de Maggie Thatcher, en sac à dos « C'est-où-les-Grandes-Jorasses ? » en car pullman avec douche et bière bavaroise au frais en tape-cul tchèque (600 francs aller et retour pour voir sourire « La Joconde »).

Clic-clac-clichés. A l'heure où il reste plus d'exotisme en banlieue qu'en pays dogon, notre touriste étranger brouille les pistes. Au premier jour, c'était simple: Dieu l'avait créé anglais, bien né et promeneur à Nice. Puis, sur les traces de Messrs John McAdam Thomas Cook et compagnie, il a eu la bougeotte. Longtemps, il n'a fait que passer, avide de troquer ses « 3x8 » contre les fameux « 3 S » (Sea, Sun et Saucisses frites). Maintenant ? Il musarde dans le Gers intérieur joue les gentlemen-fermiers, goûte la cuisine à l'aii avec un zèle d'américaniste s'initiant au rite du peyotl. Décidé à comprendre pourquoi le Gaulois l'injurie quand il est au volant, mais lui tient poliment la porte de l'hôtel, pourquoi il accélère à l'orange, pourquoi les chauffeurs de taxi choisissent leur client et non l'inverse, pourquoi les trains arrivent à l'heure et les invités en retard, pourquoi, pourquoi...

Bref, M. Schmithschmidt rêve de devenir un touriste comme les autres. Comme M. Dupondurand. Lequel maudit bien sûr les « envahisseurs » et, d'ailleurs, trop c'est trop, prendra, l'été prochain, ses vacances enGrèce !