Subir ou sévir ? Telle est la douloureuse alternative à laquelle est désormais confronté le non-fumeur dans l'entreprise, théoriquement protégé par une loi qui le met en réalité, au comble de l'embarras. De victime il devient Ç bourreau È ! Un comble... On lui impute les inesthétiques panneaux d'interdiction qui poussent un peu partout sur les murs, les cours de libéralisme sur les droits de l'individu à protéger ses poumons et les rituels sermons sur les dangers courus par le fumeur Ç passif È. Au moins, Ç avant È, lisait-il un peu de gêne ou de pitié dans le regard des autres. Maintenant, il y trouverait plutôt un brin d'arrogance, au mieux de l'indifférence, comme s'il s'agissait pour les Ç brimés È de signifier que le monde n'allait pas s'arrêter de tourner - ni les fumeurs de fumer - parce qu'une bande d'illuminés avait décrété la pause.

L'amateur de nicotine, après une pénible période de déstabilisation, s'est vite repris: allumer une Marlboro, light ou pas, reste, au choix, un plaisir, un réflexe ou une drogue pour l'amateur, mais une fatalité sans issue pour le réfractaire. Ce dernier a bien droit - parfois - à l'aumône de la question: Ç‚a ne vous gêne pas ?È Posée pour mémoire, elle n'appelle pas de réponse: ce serait grossier.

Si un intrépide ose tout de même hoqueter dans sa barbe qu'il a un Çpetit problème d'allergieÈ, on lui écrase aussitôt un mégot sous le nez, après une rageuse recherche de l 'introuvable cendrier. Le non-fumeur se demande alors ce qui est le pire: l'odeur du tabac chaud... ou froid.

Surtout, ne jamais invoquer la loi ! La tourner est un sport national: si chaque citoyen pécheur devait être surveillé par un citoyen flic, où irait la France ? Les petits remèdes sont donc toujours valables. Et utilisés. Au début d'une réunion, le non--fumeur prend le soin de s'asseoir près d'une fenêtre, puis repousse le plus loin possible de sa chaise l'ustensile de forme variée - gobelet à café, pot de fleur (fanée), corbeille usagée -destiné à recueillir les vestiges divers de l'activité interdite. Quand l'atmosphère s'épaissit, le non-fumeur entrouvre la vitre bruyamment, dans l'espoir que les décibels - ou le courant d'air -rappelleront la noble assemblée à ses devoirs envers autrui, avant que le froid la congèle. Si vraiment aucun truc ne réussit, il s'en retourne chez lui tout marri, avant de se faire repousser sans tendresse: Ç Tu sens horriblement la fumée, chéri ! È La loi ou le désir de trop bien faire...