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L'Express: 13 Mai 1993 > L'entreprise > Le publicitaire

Le publicitaire
Dominique de Montvalon

Seuls les plus de 40 ans se souviennent, forcément émus, des affiches du Bébé Cadum, avec ses petits yeux et, surtout, ses grosses joues rondes: c'était l'époque où la pub n'existait pas. Où il n'était question que de Ç réclame È.

Mais, en trente ans, la France a basculé. Tout un monde a surgi - avec ses codes, ses slogans, sa volubilité, ses plans médias, ses capitaines aux costumes cool et détonnants. Et, au total, sa façon de colorer la grisaille. A la fois respecté et craint, le publicitaire donne désormais le ton même s'il agace. Il est craint parce qu'il gère, ce qui n'est pas dérisoire, de gros budgets. Il est respecté parce qu'il a l'art, parfois le génie, de nous convaincre, avec un clocher banal, une plate campagne et pas une âme alentour, que la vie - notre vie - va changer.

Pourtant, il y a un ennui: ce publicitaire-là - que nous avions appris à conna”tre et que nous moquions, mais c'était par pure jalousie - voici que depuis quelques mois il a, dirait-on, disparu. En tout cas, il se fait violette. On ne le voit plus guère. Qui l'entend ? L'homme aurait-il rogné ses ambitions ? Il se contente de faire savoir discrètement qu'il est le Ç papa È de la dernière Ç petite phrase È qui, par chance, a fait big-bang. C'est un peu court. Désolante, la rumeur: le publicitaire, la rudesse des temps aidant, procéderait, dans ses propres entreprises, à de lourds licenciements; il en aurait rabattu sur son train de vie qui nous impressionnait tant; il priserait toujours les modes et l'éphémère, mais avec tellement moins d'entrain. Or, si le publicitaire n'est plus que l'ombre de lui-même, où allons-nous ? Quel sera notre destin ? Qui nous enseignera désormais ce qu'il faut penser, comment l'exprimer, et l'art de para”tre intelligent sans avoir lu tous les livres ? Oui, il ne manquait plus que cela, dans notre paysage déjà si morose: que le clocher s'effrite, qu'aucun son n'en dégouline plus, que l'herbe se fasse rare. Ah, elle était belle, l'époque où Myriam, sur tous les panneaux, enlevait Ç le haut È, puis promettait d'ôter Ç le bas È la semaine suivante ! Maintenant, il faudrait vivre utile, ou bien modeste. Mais peut-être n'est-ce là que la dernière invention de ces publicitaires roués: eux savent parfaitement, quand l'horizon est saturé, que le silence est d'or. Se taire, c'est une autre manière de faire parler de soi.