Newsstand/Kiosque
L'Express: 13 Mai 1993 > L'esprit > le dépanneur

le dépanneur
Yves Stavridès

La machine à laver fuit: l'évier est bouché: la serrure bloquée. ÇIl passera dans la matinée...>> Rester là. Ne pas sortir le chien. Se priver de pain. Attendre. Attendre. Tel le carabinier, le Ç dépanneur rapide È arrive quand on n'y croit plus. D'entrée il met à l'aise: ÇJ'suis garé en double file ! È On le dirige vers l'objet du sinistre. Il observe. Il palpe. Grimace. Et trouve les mots qui réconfortent: ÇMais qui vous a posé ça ? È Ne pas s'évanouir.

L' homme exige une confessiom une séance d'autocritique à la chinoise: Ç Vous avez touché à quoi au juste ? È, Ç Qu'est-ce que vous avez balancé là-dedans ? È Rejeter la faute sur les enfants. Baisser les yeux. Un repentir est souhaitable. Sinon ? Tout en déchiquetant le caoutchouc de la cuisinière à gaz, certains élargissent le débat: Ç Un de ces quatre, chère madame, ça va péter ! È Ou encore: Ç Vous constaterez qu'il est cuit votre système électrique ! È Des images traversent le cerveau affolé de la ménagère: Bhopal, le château de Windsor... Un silence de qualité s'installe. Il est rompu par l'expert: ÇC'est vous qui voyez hein ? È

Justement, vous ne voyez rien. Plus d'image. Le téléviseur est en panne. Ç A•e !... È Comment ça, a•e? Ç C`est un modèle ancien... È Propos mortel. A traduire ainsi: Ç Il date de la période minoenne. Je n'ai pas la pièce. Je dois la commander à l'usine. È S'asseoir. Surmonter le vertige. Le début de malaise. Dites-vous que ce monsieur n'est pas votre ennemi. Il est ici pour vous aider. Pour vous sauver. Il est prêt, même, à faire un cours magistral sur ce lavabo qui transpire. Prêt à vous associer à la manuvre: Ç Coupez l'eau. È Oui... ça se coupe où ? Ç Concierge. È Un quart d'heure après, l'immeuble entier est à la fenêtre: Ç Y a plus d'eau ! Qui a coupé l'eau? È Vous, rouge de honte: Ç Et... ça peut durer longtemps ? È Lui, concentré sous la baignoire: Ç ‚a durera ce que ça durera. È Ma”trise. Sang-froid. Maturité. C`est un professionnel. Il commence à vous plaire.

Parfois, il se contente d'appuyer sur un bouton - et la lumière revient. Si l'indigence manuelle de ses contemporains le trouble, il n'en montre rien. Mieux: il console. Ç Je ne vous compte que le déplacement... È L'artiste ramasse alors sa trousse à outils - sa bo”te à secrets. Encaisse son cachet. Merci. Au suivant. Et s'envole dans la cage d'escalier. Le dépanneur est le dernier des magiciens.