Il arrose ses géraniums; et il y va de bon cur. L'eau dégoutte, ruisselle, cascade de balcon en balcon. C'est beau. C'est rafra”chissant. D'ailleurs, Ie voisin du dessous apprécie: Ç On venait de faire les carreaux ! Merci ! Y a plus qu'à recommencer ! È L'arroseur: Ç Si vous n'aimez pas les fleurs, dites-le. È Le voisin dit qu'il va d'abord appeler les flics. Contre-offensive: Ç Et quand votre bébé pleure la nuit, j'envoie l'armée ? È Le jardinier d'appartement a le moral. Pour l'impressionner, il en faut davantage. Car il affronte - à l'année - des prédateurs redoutables. Des tueurs invisibles. Ou presque. Les colonnes de pucerons noirs qui boulottent son ficus. Les cochenilles qui suçotent ses hortensias. Les aleurodes -ravissantes mouches blanches - qui couvrent de déjections son azalée et ses solanums. Les anguillules - des vers, oui, madame, des vers de 2 millimètres - qui atrophient ses bégonias Et les araignées rouges qui vampirisent son clivia et ses cactus. Bref, son living, c'est la forêt brésilienne. Mais notre homme se bat. Il s'arme de fongicides et d'acaricides. Il rend coup pour coup. C'est un guerrier.

Un poète, aussi. Il jardine Ç avec la lune È. Il parle à ses plantes. Leur épargne scènes de ménage et crises d'hystérie. Les entoure de musique - à éviter: le hard rock. Il est aux petits soins. Il veille à tout. L'hygrométrie. Le froid. Le chaud. L'ombre. La lumière. Et l'oxygénation: Ç Eteins ta clope, malheureux, tu vas gazer le yucca ! È

Sa Ç main verte È lui donne de l'audace. Il met en pot des noyaux d'avocat, d'abricot, de cerise - sait-on jamais? Il rêve de citronniers d'intérieur et de vendanges sur sa terrasse. Il se lance des paris fous. Ou idiots. Il cajole les trois tomatiers qui encombrent le rebord de sa fenêtre: la fameuse tomate Çdu jardinÈ - qui lui cožte la peau des yeux.

L'été, c'est avec angoisse qu'il vous tend ses clefs. Et ses consignes: ÇTu inondes deux fois par jour les cyprès argentés. Mais mollo sur le bonsa•.È Terrible est le retour. Frappé d'anthracnose, de fusariose, de septoriose - de ce que vous voulez - le cyclamen agonise. Le jardinier sanglote. Se reprend. Il tente alors le tout pour le tout. Il ampute, il greffe, il badigeonne. Des semaines de couveuse. De soins palliatifs. De prières. Jusqu'à la résurrection finale: ÇIl repart !È Vers de nouvelles aventures....