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L'Express: 13 Mai 1993 > La Famille > Le parent d'élève

Le parent d'élève
Georges Dupuy

Rien de ce qui est scolaire ne lui est étranger. Aucun arrêté de la Rue de Grenelle, le ministère de l'Education nationale, ne lui échappe. Et il ferait beau voir qu'une école, un collège, un lycée, un lieu quelconque de savoir et d'enseignement lui fermât sa porte. Son champ d'intervention - au bornage incertain - est vaste. Ainsi peut-il veiller à l'équilibre diététique des repas, gloser sur le bac à points, s'appesantir sur la dernière réforme pédagogique et critiquer pêle-mêle les horaires, la charge de travail des élèves, le roulement des surveillants, le mauvais état de la cour de récré et le manque de communication de tel ou tel prof.

Jamais Jules Ferry n'aurait imaginé ce prolongement vibrionnant de l'école la•que et obligatoire: le parent d'élève. Professionnel. Membre d'une quelconque union ou fédération. Omnitout, quand le genre humain est simplement omnivore. Cet enfant de Mai 68 et de la réforme Haby se veut ainsi omniprésent et omniscient. On le suppose omnipotent. Il accepterait bien volontiers de l'être. Au nom de l'intérêt des enfants et du droit des consommateurs.

Parlez-en aux proviseurs, aux directeurs, aux profs ou aux ma”tres. Tous, un jour, ont rêvé de l'étrangler. De le chasser de leur bureau, de leur classe. D'un geste définitif. Dieu expulsant Adam et Eve de l'Eden. Le parent d'élève professionnel le sait. Il s'en accommode. Malgré ses outrances, on a besoin de lui. Il fait partie du paysage scolaire. Il accompagne les petits à la piscine, il manifeste devant le restorat pour réclamer -et obtenir- les remplaçants que l'administration refuse. Il organise les petites fêtes de fin d'année. Ah! les réjouissances du mois de Juin, l'apothéose de dix mois bien remplis! Demandez le programme dessiné par les tout-petits, les sketches et la chorale, les gâteaux et la sangria maison, les courses en sac des PTT et le jeu de massacre, la grande loterie bicyclette-rollers-skate-jeux vidéo et le discours du responsable d'établissement remerciant les parents, Çsans lesquels cette fête ne serait pas ce qu'elle estÈ. Mais on ne na”t pas parent d'élève. On le devient. Pauvres na•fs, qui ont cru l'être de droit. Parce qu'ils ont un enfant en âge d'être scolarisé. Alors qu'en réalité ils ne font que rejoindre la cohorte des simples papas et mamans. Des millions d'hommes et de femmes comme vous et moi. Des parents d'élève avec une minuscule. Banals et légèrement affolés. Culpabilisés de ne pas faire partie des affranchis de la filière. Ceux qui savent qu'il faut mettre les gamins dans cette maternelle-ci parce qu'elle donne un ticket d'entrée dans cette école primaire-là, qui, à son tour, permet d'entrer dans ce collège-ci, qui ouvre la porte de ce lycée-là, dont la Çprépa HEC est une des meilleures de ParisÈ. Les pauvres parents lambda sont aussi dépassés par ces conversations dont le seul et unique objet est l'éducation. Enterrés sous des tonnes de conseils. Largués par l'activité étourdissante des autres. Diable, c'est que la majuscule se mérite. Il ne suffit pas de se lever à l'aube tous les matins de la sainte semaine pour accompagner la chère tête blonde - ou brune - jusqu'à l'entrée. Par tous les temps. Ou de papoter assidžment sur le trottoir avec les autres. Il faut entrer dans l'Ordre. Adhérer sans états d'âme à sa devise: ÇJe participeÈ - Çdonc je suisÈ, ajouteront les cartésiens. Se soumettre sagement aux rites de passage. Apprendre l'humilité quand c'est la finale du championnat du monde de foot et qu'il ne vient que dix pelés et un tondu à cette conférence exceptionnelle sur Çles moyens de reconna”tre que votre enfant se drogueÈ. Offrir son salon-salle à manger pour accueillir les réunions qui ne peuvent pas avoir lieu à l'école ou au collège, parce que les concierges ont autre chose à faire. Et tant pis pour le conjoint ! ÇDois-je te rappeler que ce sont aussi tes enfants?È

Alors, quand vous aurez usé vos doigts à plier des centaines de lettres ou de tracts, vidé des dizaines de cartouches à écrire des centaines d'adresses sur des centaines d'enveloppes, gonflé votre note de téléphone, dévoré ÇFamille EcoleÈ ou ÇLa Voix des parentsÈ jusqu'à la dernière ligne, appris en quoi les autres - ceux de la FCPE, de la Peep ou de l'Unapel sont mauvais... alors, alors vous monterez en grade jusqu'à la consécration suprême: président ou représentant au conseil de classe. Ou plutôt présidente ou représentante, car le parent d'élève professionnel est avant tout, une parente. A qui on ne la fait pas. Le menton décidé, le jarret moral nerveux, la poitrine tendue sous les invisibles médailles des mille et une batailles de la la•que ou du privé, parfois prof, souvent mère au foyer, toujours prête.

Rassurez-vous. Si les parents d'élève professionnels sont tentés d'accompagner leur progéniture jusqu'au doctorat, ils devront passer la main. A qui ? A leurs enfants, tiens.