Il ne lit pas ÇLe Chasseur françaisÈ ni ÇLa Revue nationale de la chasseÈ . Il n'écoute plus la radio depuis qu'il a acheté la télé. Et la télé, il s'en fout. Il est toujours aux champs. Pierrot, la soixantaine, métayer de son état, épanoui comme on peut l'être quand on aime la bonne terre et la bonne table, n'est pas du genre informé. N'empêche - par quel miracle? - il est au courant du procès qu'on fait aux chasseurs de son espèce. Et ça l'énerve, l'ami Pierrot.

Lui, un dingue de la gâchette ? Mais, de quoi parle-t-on ? Son fusil, il le tient de son père. Et son père de son grand-père... On peut remonter loin. Alors, que les défenseurs des animaux le laissent tranquille ! La Brigitte Bardot et les autres. Tous des Ç Parisiens È, d'ailleurs. Des défenseurs de la nature ? Qu'est-ce qu'ils y connaissent, à la nature ? Ils seraient incapables de repérer un lièvre, comme lui, ce matin même, tiens! à la fra”che, tout près de l'étang. ÇQuel morceau !È

Il sait, bien avant l'ouverture officielle, où se nichent la compagnie de perdreaux et le couple de faisans lâchés par la société de chasse locale. Mieux, cela fait des semaines qu'il les attire dans ses ma•s. Comment ? Mystère ! ÇMon secretÈ, murmure-t-il... Il a un truc qu'il tient de son père, qui le tenait lui-même... Mais les autres aussi, ils ont leurs trucs. Alors, parfois, il est bredouille. Et il n'aime pas ça, Pierrot. De dépit, il est capable de faire feu sur tout ce qui bouge: le merle, le rouge-gorge, la fauvette n'ont pas intérêt à traverser son champ de tir. Ses propres pigeons ne sont pas à l'abri. Ç Il ne s'en est pas encore pris à nos vaches !È précise Angéline, sa femme, en mettant le couvert, pendant que Titi, le fils, astique son lance-pierre. Titi incarne la relève.

Avec ses bottes en caoutchouc, son chien et sa vieille pétoire, Pierrot, on l'a compris, ne se livre pas aux savantes subtilités des chasses traditionnelles. Les filets à tourterelles, la longue attente du canard, à l'aube, dans les roseaux, ce n'est pas pour lui. Quand il tire une poule faisane, il s'interroge sur la façon de l'accommoder - Ç à la ficelle ou en cocotte ? È et pas vraiment sur son rôle de régulateur de l'espèce. Quand il saisit son fusil pour aller Ç au cochon È (comprenez le sanglier), c'est que Ç cette saloperie [lui] a de nouveau bousillé le bas du champ de luzerne È. Comme, avant lui, à son père et au père de son père...