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L'Express: 13 Mai 1993 > Le Pays > L'écologiste

L'écologiste
Sylvie O'Dy

Il ne dissimule plus le tigre qui lui sert de moteur. Il roule au carburant vert. Un beau jour, il a jeté ses bons sentiments et ses mains bien propres dans la poubelle recyclable et récupéré deux pognes de combat. Sans honte, sans pitié. Elles lui ont d'abord servi à se frayer un chemin de campagne parmi ses copains. Il y avait beaucoup de candidats à la candidature. Et, pantalon de velours, veste couleur d'automne et cravate assortie, le style Vieux Campeur ravalé par son ami pubard, il a ensuite sillonné sa circonscription au volant de son Espace. Avec sa femme - mignonne, sympa - et ses enfants mignons, sympas - car la famille, c'est comme l'écologie, c'est à la mode. Tout le monde en redemande, ou presque. Le Palais-Bourbon, il a longtemps rêvé. Dommage, ce sera pour la prochaine fois.

Cette fameuse vague verte, c'est parce qu'il y avait cru qu'il s'est propulsé dans la mouvance écolo. Un as ! Il n'avait pas son pareil pour surfer sur les querelles claniques et repérer, en bon observateur de la nature... humaine, une niche électorale où déployer ses ambitions. De toute façon, sauver la planète, il est pour, changer la ville, il est pour. Et améliorer son propre destin grâce à l'écologie, il est aussi absolument pour. Sans états d'âme, il s'est métamorphosé en écolo électoral.

Rien à voir avec le pur beurre, son célèbre cousin. Celui-là a toujours été contre la politique. Il est aussi contre le nucléaire, contre le ministère de l'Environnement - Ç Il faut de l'écologie partout È - contre le business vert les pin's pour les baleines ou les tee-shirts pour les pandas, contre les bagnoles, contre le TGV, contre les autoroutes, contre les pluies acides, contre le déboisement, contre la pollution, contre les métaux lourds. Il a toujours milité Çà la baseÈ, loin des calculs politiciens. L'écologie, c'est sa vie. Il ne prêche pas, il croit. Fidèle lecteur de Ç La Hulotte È, la bible des amis de la nature, il conna”t par cur le dédale des associations qui marnent sans gloire depuis des lustres pour rattraper par la queue les espèces en voie de disparition. Et Dieu sait s'il y en a ! L'ours des Pyrénées, le lynx, le loup, la chouette effraie, le busard, le balbuzard, le gypaète barbu, le percnoptère, l'dicnème criard, la couleuvre à échelons, la musaraigne aquatique, le moineau friquet, l'alouette lulu, l'apollon arverne, l'omble chevalier... Sans parler, bien sžr, des dauphins. Mais, là, il a reçu ces dernières années un sacré coup de main du film culte de Luc Besson, Ç Le Grand Bleu È. Toute une génération s'est soudain sentie plus proche de ce photogénique mammifère marin que de son voisin de palier. C'est aussi ça, la conscience planétaire.

L'écolo pur est cool. Il n'arbore jamais cet air affairé et mystérieux qui caractérise l'écolo électoral. Il vit au rythme des saisons. Ne porte pas de montre. Comme cela, il souligne clairement que lui n'est pas dans la course. Il n'a même pas de 4 L pourrie. Il prend toujours son vieux vélo, avec un siège bricolé sur le porte-bagages pour le petit dernier, véritable bébé Dolto, que personne, mais alors personne, n'a jamais contrarié. Il se ravitaille chez des potes alternatifs qui connaissent toujours une tribu de fermiers bio. Pas de pesticides sur les légumes, pas d'hormones dans le veau, pas de nitrates dans l'eau, pas de batteries pour les poulets. L'écolo pur beurre n'oublie pas qu'il descend du mouton, via le Larzac. Et ne rate aucune occasion de s'en prendre au progrès qui ne manque pas de faire rage. Extra-lucide quant au sort de la couche d'ozone, il n'a pas encore compris qu'il est lui-même devenu une espèce menacée.

Cet écolo pur et dur dispara”t irrémédiablement. Son successeur s'affiche dans tous les magazines. Il sent bon le terroir et la modernité, I'authentique et le virtuel, le plaisir et la sagesse. Adepte du fax et du micro-ondes, de la cueillette des cèpes et de la pêche à la mouche, c'est un phénomène d'époque. Un prescripteur, un cur de cible. Le grand gagnant des années 90. Au hit-parade des valeurs qui montent, il a tout juste. Enfoncés les yuppies aux dents longues, les quadras branchés, les superwomen. Voici Super-Ecolo et sa sympathique tribu. Il aime parler vrai, manger vrai, s'habiller vrai. Il se veut virtuose de la ressource humaine. Il pratique le cocooning vert. Le vélo en famille dans la France profonde. Les leçons radiophoniques de Nicolas le Jardinier. Et rêve secrètement du Montana, où les stars milliardaires agacent les truites et comptent les bisons.

Il entend consommer intelligent tout en donnant un supplément d'âme à une décennie morose. Il a réussi: sauver la Terre devient l'impératif catégorique d'une génération déboussolée. Aux dernières élections, il a voté pour le type au pantalon de velours. Avec un petit pincement au cur, l'écolo électoral a été parachuté à la place du brave type du coin qui se crève à la tâche depuis plus de quinze ans. Mais il faut bien vivre avec son temps.