Newsstand/Kiosque
L'Express: 13 Mai 1993 > La République > Le bénévole

Le bénévole
Marylène Dagouat

C'est le cha”non manquant, le généreux de l'ombre, la béquille de la République. Qu'on se le dise, il fait un travail for-mi-da-ble. Il pallie les déficiences de l'Etat. Il est devenu pilier de la vie sociale, pompier de la misère humaine. Avec lui et ses 4 millions de confrères, la France a Ç un cur gros comme ça Č. Pensez ! ensemble, ils représentent quelque 150 000 emplois à plein temps.

Anonyme et discret, le bénévole pratique le don de soi comme d'autres font du ski: avec jubilation. Qu'il donne quelques heures ou tout son temps, il offre tout son talent. Car il y a bien longtemps qu'il a quitté l'amateurisme maladroit pour mettre àprofit ses compétences. Technicité et formation sont désormais les ma”tres mots du bénévolat pas idiot. Homme de terrain ou de logistique, le bénévole professionnel a enterré les dames patronnesses à la charité tâtonnante et condescendante .

Il est partout: dans le social, le sanitaire, le culturel ou le sportif. Pour lui il n'y a pas de petite cause. Aucun besoin, aucune détresse ne le laisse indifférent. Mais, effet de mode ou urgence de l'époque, il s'est recentré sur l'humanitaire et l'extrême pauvreté. Il peut distribuer des repas aux sans-abri, assister les victimes du sida, aider les vieux à domicile, organiser des ventes de charité, accueillir des mères célibataires. Lutter contre la toxicomanie. Défendre le droit au logement. Alphabétiser... Il uvre à la carte, cherche une cause qui ressemble à son combat et convienne à son ego.

On conna”t mal ses motivations. Mais on sait qu'avec ses moyens, son temps libre, son énergie et son sourire le bénévole répond à sa façon l'émiettement social. Les sociologues parlent de la fin du militantisme, de l'échappatoire à une société du rendement, des nouvelles solidarités. de l'épuisement du"Moi je". Il rétorque: "Moi, nous..." "Je donne et je reçois... J'aide, donc je suis... Quand on pense aux autres, on oublie ses problèmes... Demain, ça pourrait être moi. " Lui explique qu'il a voulu donner un sens à sa vie. Faire l'apprentissage de la douleur, refuser la fatalité du malheur, s'enrichir par l'ouverture aux autres. Il se sent reconnu ou moins coupable. Bref, le bénévole se fait du bien en faisant du bien. Aujourd'hui, plus besoin d'invoquer la religion, d'avoir vocation au martyre ni le gožt du sacrifice. "Bénéfice mutuel", dit-il Conclusion: le bénévolat, c'est payant. Comme disait Saint Coluche, le bénévole est un enfoiré.