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L'Express: 13 Mai 1993 > La République > Le bon Français

Le bon Français
Pierre Combescot

Il ne ménage pas ses efforts. Quand il faut aller au charbon, il y va la fleur à la boutonnière. A la guerre comme à la guerre, dit-il en retroussant ses manches. Mouton, le bon Français ? Pas une seconde. Il serait même un peu tête de cochon. En tout cas, il ne s'en laisse pas accroire. ÇVous m'en direz tant, mais j'ai ma petite idée là-dessus...È, fait-il en regardant d'un air entendu son ballon de beaujolais comme, à deux rues de là, Mme Sesostris, la pythie du quartier, son marc de café. A cet instant, dans le fond de son verre, se décide le destin du monde. Accoudé au bar, chacun retient son souffle. On le sent sur le point d'en ficher une bonne. Personne ne voudrait manquer ça. C'est une vedette. Le fort en gueule, le rouspétard de service. C'est pas lui qui se serait laissé refiler de l'emprunt russe comme le grand-père qu'il n'a pas connu, mais dont il a la photo dans sa chambre. Les russkofs, il conna”t. Il y a encore quelques années, il voyait l'Ç oeil de Moscou È un peu partout, comme son père, jadis, la Çtroisième colonne.È Il conna”t forcément, il a eu sa carte du Parti. Une erreur de jeunesse, mais qu'il ne regrette pas. Y avait de la camaraderie, en ce temps-là. Maintenant, c'est la chienlit. Y a que le fric qui compte, avec ces vendus. ÇAllez, patron, remettez-moi encore un petit rouquin !È C'est sa façon de prendre son élan. Faut dire qu'il en a besoin pour refaire, à sa manière, I'Europe de l'Atlantique à l'Oural, malgré les polaks, les Grands-Russes et les Petits-Russes (XIIe-XVe s.), Ies rosbifs, les yougos, Croates et Serbes confondus, le boche, évidemment sans oublier les espingos et les ritals, l'Ç internationale Juive È et surtout le Ç petit bougnoul È, grand responsable, selon lui, de la démoralisation de la France. Le chômage? Ia crise... ? Il les balaie d'un revers de la main. ÇBroutilles que tout cela. "Yaka" se serrer la ceinture. On peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Avec tous ces métèques, on a oublié qu'on était français. È Le bon Français a mal à la France. En vieillissant, il est devenu gaulliste. La photo du Général trône dans sa chambre, à côté de celle du grand-père. Bientôt les rejoindra celle du Maréchal. Ç Ce pauv' vieux, faut le laisser tranquille. Verdun, c'est tout de même lui... È C'est un rassembleur. Il bouffe de l'Arabe, mais qu'il y ait la menace d'une ratonnade et le voilà qui défile. Le bon Français a une grand-mère italienne et une mère espagnole, mais, en Auvergnat, il a le porte-monnaie paresseux quand il s'agit de remettre une tournée. L'atavisme.