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L'Express: 13 Mai 1993 > La République > Le chercheur du CNR

Le chercheur du CNRS
Jean Lesieure

Il se complait au milieu des méta et des protozoaires, se perd avec délices dans les turbulences océano-stratosphériques, se repa”t de matières molles, se nourrit de polymères, s'enivre de fonctions dérivables ou dérivées, traque le moustique préhistorique, le Dinka ou le Hottentot. Il lui arrive pourtant d'avoir aussi de l'humour. On en a même entendu un qui disait: "Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent,on en cherche."" Tout le monde n'a pas ri. Comment peut-on dire du mal des soldats du CNRS, première armée du monde de chercheurs fonctionnarisés, fils du Front Populaire, instruments républicains de la libération de l'homme?

Un demi-siècle plus tard, le combat continue. Le chercheur cherche. De l'argent souvent. De l'avancement parfois. De la reconnaissance, tout le temps. Et des chausse-trapes. Un jour, l'un deux trouva. Toutes les nuits, son voisin de labo venait mettre de l'eau chaude dans son aquarium. Ses petites bêtes crevaient, sa science piétinait, son avenir s'obscurcissait. Le monde est laid. Trouver, disent-ils. Daccord! Mais survivre d'abord. Aux allocations de crise dont il fait priver le voisin, aux salaires de misère, aux commissions d'évaluation encombrées de mandarins et de syndicalistes n'ayant pas touché une pipette depuis des lustres. Aux regards des intimes, qui croyaient au Nobel et n'entendent parler que d'histoires de fric, de magouilles et de mesquineries politiciennes. Au mépris des littéraires quand on est scientifique, et vice-versa. "Les chercheurs en sciences humaines ? Ils ont pris I'habitude de travailler surtout dans leur appartement du Ve arrondissement." C'est un chimiste qui parle. Il habite dans le Vle. Quelle vie ! Car ce n'est pas tout d'être méchant avec les collègues et néanmoins ennemis. Il y a aussi des gens à cajoler: I'avancement se fait à l'ancienneté, mais quelques amis au comité central - appelé "national"- n'a jamais nui à personne. Et puis. il y a les "referees". Rien a voir avec le foot. Ils n'arbitrent que les publications soumises à leurs innombrables revues, bibles et passeports des chercheurs. "Publish or perish" (publier ou périr) dit-on dans le jargon. Car, en plus, tout se passe en anglais, langage de la république des sciences. "Help, dit mon ami le chercheur.J'ai envie de partir aux States.