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L'Express: 13 Mai 1993 > La République > Le policier de banlieue

Le policier de banlieue
Jacques Buob

En quête de mythe, s'abstenir. Jeans, blouson, holster, santiags. Un salaire tiré au cordeau et, pour travailler, des moyens de misère. Ce n'est pas l'antigang ni les stups, qui se croient corps d'élite. Ici, ce sont les banlieues chaudes, celles des immigrés première, deuxième, troisième génération, celles du chômage, des ghettos, de la drogue, de l'ennui. Le décor est dressé. Maintenant, allez mettre de l'ordre là-dedans ! Personne n'a choisi de vivre dans ces cités, ou alors des vicieux. Le paysage n'est pas riant ? Ajoutez-y les faux rappeurs, les vrais dealers, les faux chômeurs et les vrais emmerdeurs. Pas tous de mauvais gars, il faut les comprendre, aussi, mais dans le tas il y a quelques fortes têtes. L'inspecteur se fond dans le tableau. Le keuf est habillé "racaille" et il parle verlan comme tout le monde, ce qui n'est pas trop difficile vu que lui-même, à l'école, il a appris à parler comme ça, question de génération. Quoi de neuf ? Tout et rien. Une sorte de guérilla permanente. Agressions minables, vandalisme, vols de motos, bagnoles désossées, rodéos en voitures volées, bagarres entre bandes rivales. Des viols, parfois. Et la drogue, surtout la drogue. Black, blanc, beur. Beur, blanc, black. C'est pas du racisme, c'est comme ça.

Je ne sais pas si vous avez vu "L. 627", le film de Bertrand Tavernier, mais on ne peut pas mieux dire. Les flics, ils n'ont pas attendu les consignes du ministère pour partir à la chasse aux dealers. Seulement, on ne règle pas les problèmes avec des "y a qu'à". Petite leçon d'économie: la came, ça rapporte plus que le smic et beaucoup plus que le RMI. Le dealer, il fait vivre sa famille avec, et la famille, elle remplit les poches de l'épicier du coin. On arrête un dealer un soir, il en sort deux autres le lendemain matin. Et vous, vous faites quoi avec trois voitures banalisées à bout de souffle pour quadriller la zone ?

La banlieue est dévoreuse de fra”cheur d'âme. Mais, pour peu qu'on veuille ouvrir les yeux, et pas seulement jouer au cow-boy, elle vous forme un bon flic. A condition d'en sortir. Un policier qui vieillit sur place finit par ne plus croire à rien ni à personne. Il se dit que l'avenir est sans espoir et le monde peuplé d'imbéciles. Une vision pessimiste des choses, mais parfois c'est dur de lutter contre.