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L'Express: 13 Mai 1993 > La République > Le Président de la République

Le Président de la République
Yann de l'Ecotais

J'ai bien réfléchi avant d'oser vous écrire. Je vous observe depuis maintenant trente cinq ans, changeant de visage et cependant toujours le même. Je vous observe surtout depuis 1962. Votre élection au suffrage universel a profondément modifié l'équilibre de nos institutions et fait de vous - cohabitation ou pas - le centre de notre dispositif politique. Il est loin le temps où nos présidents se retrouvaient, de nuit, en pyjama sur le ballast, et, plus récemment, celui de l'inauguration des chrysanthèmes. Votre pouvoir a pris un poids considérable et votre majesté s'en est trouvée dilatée.

Dilatée au-delà du raisonnable, d'ailleurs (vous voyez, j'en viens au fait). Franchement, je vous préfère dans ces bains de foule dont vous avez lancé la mode, ou incognito chez Marcel, le roi de l'andouillette - pourquoi pas dans une exposition de peinture, rue de Seine ? plutôt que pontifiant à la télévision, sorte d'Atlas portant le monde. Il faut reconna”tre qu'au début de la Ve République vous vous comportiez, monsieur le Président, comme si vous dominiez l'Univers. Maintenant, les autres nous rient au nez. Vous l'avez dit un jour: notre France est devenue une puissance moyenne. C'est dur, n'est-ce pas ?

N'en faites pas un drame. Peu importe, en effet. Nous aimons bien boire dans notre verre. Incarnez la France éternelle c'est-à-dire intelligente, belle, spirituelle inventive, supérieure. Nos voisins ne nous reconnaissent pas de telles qualités ? Et alors ? Portez cette France-là en sautoir et abstenez-vous de politique partisane ou politicienne. ‚a vous brouille le teint et ça nous énerve.

Nous souhaitons juste vous voir régler quelques grands problèmes. Sur l'Algérie - française puis indépendante - vous avez un peu menti, mais vous étiez parfait. La décentralisation, en 1969, c'était raté, mais vous vous êtes bien ressaisi treize ans plus tard. L'Europe ? ‚a, ça para”t vous plaire: de 1960 à 1993, vous n'avez pas arrêté. Sans nous convaincre tous. Aujourd'hui, il faudrait moderniser et réformer le pays: là. excusez ma familiarité, vous avez un peu roupillé. En résumé: soyez plus simple, faites-nous rêver, ne vous occupez que de l'essentiel. Les interlocuteurs, à la télévision, ne manqueront jamais pour vous grandir. Vous avez progressé: au chasseur de fauves des années 60 continuez à préférer les brunes (et les blondes) de ces derniers mois.