La concierge portugaise Trente ans après, elle parle toujours le français comme Maurice Chevalier jactait l'angliche au bout de ses années hollywoodiennes. Et de sa loge s'échappent des effluves huileux et marins de là-bas, entre Douro et Algarve. Comme si la concierge ÇportouguècheÈ n'avait jamais vraiment quitté son pays. Quand elle y retourne, pourtant, l'été, dans un autobus ou dans sa grosse voiture, elle et sa famille s'y font souvent traiter de Ç Français È. Un simple constat, sans haine et sans mépris. L'évidence: M. et Mme Pipelet ont déserté les rues de nos villes. Les aventuriers d'O Salto, le grand saut des années 60, occupent désormais le terrain. Dans leurs modestes logis de Paris, ils ont gardé leurs images pieuses, leur morue et leur vinho verde, leurs regards et leurs vêtements sombres. Mais quand ils font construire au Portugal, ce sont des maisons de Français. On dirait des pavillons Bréguet. C'est pour les vieux jours, qu'ils disent, pour le retour au pays. En attendant, ils font leur trou chez nous, c'est-à-dire chez eux, si sžrs de leur identité profonde qu'ils se paient le luxe de s'intégrer sans se renier. Le plus souvent, la concierge portugaise règne seule sur son royaume à étages. Le mari est au chantier, les enfants à l'école. Elle, elle s'organise. Elle est dure à la peine. Au Portugal, monsieur, nous étions pauvres mais nous avions des valeurs. Alors, elle bosse. Le courrier, l'escalier à nettoyer sans compter les piges, c'est-à-dire les ménages. Cela fait circuler. Elle observe sans mal son devoir de réserve. La vie privée des autres, cela ne la regarde pas. Mais il faut bien se tenir au courant. Un couple qui craque, une mutation qui s'annonce: un appartement qui se libère; en ces temps de disette immobilière, l'information peut toujours servir. D'ailleurs. en général, elle sert. Evidemment, tous les Portugais ne sont pas maçons. Parfois, donc, la concierge s'appelle gardienne, c'est-à-dire femme de gardien. Appellation réservée aux grands immeubles.La copropriété y a des ressources. Alors, l'horizon s'élargit, les fonctions aussi. On n'y est plus concierge, mais commandant, capitaine escadrille d'hommes de ménage, guetteur d'agence immo-bilière. A la fin de l'année, quelles étrennes ! Au bout du compte, quelle réussite ! La maison (ou les maisons) du Portugal, on finit par la louer. Pour se retirer à Paris. Dans un immeuble.