Newsstand/Kiosque
L'Express: 13 Mai 1993 > La Rue > Le handicapé

Le handicapé
Marylène Dagouat

Le handicapé Rattrapez cet homme. Bzzzt. En dix-huit secondes, il a empoigné son fauteuil, l'a déplié, a quitté sa voiture. Fuiiiit. S'est faufilé sur le trottoir. Engouffré dans l'ascenseur. Echappé dans le couloir. Il a la conduite sportive. Il fait l0 bornes par jour. Il s'en vante. Vous n'arrivez pas à le suivre ? C'est normal. Ce mec revient de loin. Donc. il fonce vers l'avenir. Vrooom.

Appelons-le Andy, sans façon. Andy est handicapé. Enfin, pas lui: le problème vient de ce monde qui a été construit pour les Ç debout È. Lui, il appartient peut-être à la confrérie des Ç cassés È, des Ç hommes assis È, des Ç complètement pétés È. Mais il veut qu'on oublie sa différence, en rajoute. Le premier à se moquer des Ç légumes posés sur un fauteuil È. Andy a la pêche. Il fait du basket ou du ski assis. C'est un gagnant. Le phénomène est récent. Avant, on cachait l'invalide à la maison. Puis Patrick Segal s'est montré à la télé, il y a vingt ans. Bob Hall attaqua en roulettes le marathon de Boston, en 1975.

Au ciné, on a vu Ç Kenny È, l'enfant-tronc. On fit connaissance avec les myopathes du Téléthon. Moins seul, Andy. Dans le regard des autres, là où il sentait de la répulsion, il a vu de la compassion. Mais ça ne lui suffisait pas. Il est parti à la conquête de la rue. Les 5,2 millions de Français handicapés (10 %) ont besoin d'aide, non de pitié. Et, surtout, d'ac-cessi-bi-li-té. Aux logements, à la voirie, aux lieux publics. Depuis, les valides lui piquent ses cabines de téléphone et ses places de parking. On lui promet pour bientôt l'autobus à plancher surbaissé, il trouve enfin des voitures aménagées. Bref, sa vie s'est allégée, son fauteuil aussi: l l kilos maxi, du sur-mesure, 18 couleurs même du fluo. Ç Je suis fun È, déclare Andy. Quand même, ça n'est pas tout rose. Tiens, quand il va au cinéma multisalles, on le fait passer avant tout le monde. C'est sympa. Mais il n'a pas le choix du film, un seul est accessible. C'est nul. Andy ne veut plus se faire rouler. Avec ses potes, il a défilé sur le pavé, défendu sa dignité, lutté contre la paralysie de ses revendications. C'est vrai, quoi, les allocations spéciales ont diminué. On a revu à la baisse les services d'une Ç assistante de vie È. Malgré la loi de 1987, qui fixait à 6 % du personnel le taux obligatoire de handicapés, il reste souvent à la porte de l'entreprise. Bref, tout est à revoir... Que veut Andy ? ÇRien de particulier. Bosser. Ne pas mourir. Vivre...È. Hé, j'te suis, Andy.