La société de sécurité maximale [1]
Paru dans Déviance et société, 1988, Vol. 12, No. 2, pp. 147-166

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Par Gary T. Marx [2]

 

Je ne crois pas que le genre de société que je décris arrivera, mais je crois que quelque chose qui lui ressemble pourrait arriver.

George Orwell

Nous vivons (à) l'époque des miracles et (des) merveilles
C'est un appel à longue distance
La manière dont la caméra nous suit au ralenti.

Nous vivons l'époque des lasers dans la jungle, des lasers quelque part dans la jungle
Signaux staccatos d'information permanente
Nous vivons (à) l'époque de miracle et (de) merveille.

Paul Simon,
The Boy in the Bubble

La mort de la démocratie ne sera probablement pas due à l'assassinat par embuscade. Ce sera plutôt une extinction lente (due à) l'apathie, l'indifférence et le manque de (nourriture).

Robert Maynard Hutchins

 

Buck Rogers et Dick Tracy sont arrivés au système de la justice criminelle. Lors d'une conférence récente à l'Université de Montréal sur la technologie et la justice criminelle, on a présenté des informations concernant l'éventail de technologies de défense et de l'ère spatiale qui sont maintenant prêtes à l'usage commercial. Des entrepreneurs, de milieu économique, politique ou universitaire, pour justifier cet usage, se réfèrent à des valeurs communes: la justice, l'équité, la prévention générale ou spéciale, la dissipation de la peur, ainsi qu'une plus grande efficacité et de meilleurs résultats. Mais les roses poussent toujours entourées d'épines. À l'intérieur de ces observations, je dois soulever des questions en ce qui concerne l'évolution actuelle dans le domaine technologique du contrôle social. Je me réfère à mon œuvre récente sur la police secrète, « Computer matching and profiling » et la surveillance du travail [3].

J'écris aussi bien en tant que scientifique qu'en tant que critique social. En tant que celui-là, j'identifie et je désigne les courants de la société. En tant que celui-ci, je prédis l'avenir dans le cas où les courants actuels se poursuivraient. Après sa visite en Union soviétique en 1919, le journaliste américain, Lincoln Steffens, a remarqué: « J'ai vu l'avenir et ça marche. » Dans quelle mesure cette prophétie serait-elle valable dans les domaines de la technologie et de la justice criminelle ? Même sans être assez clairvoyant pour garder un pessimisme absolu, je ne pourrais pas partager l'optimisme de Steffens, particulièrement en ce qui concerne la vie privée et la liberté de l'individu.

Petit à petit, nous acceptons les changements technologiques d'aspect bénin (electronics beepers, biometric identification, computer data bases), la surveillance par vidéo, la pharmacologie, les gardiens-robots. Et ce faisant, où allons-nous en tant que société ? Quel monde se présentera à nous en l'an 2000 ou 2050 ? En ce qui concerne la liberté, la vie privée, la dignité et l'autonomie de l'individu, aurons-nous envie de léguer ce monde à nos enfants et à nos petits-enfants ? [4]

Aux États-Unis, nous fêtons les 200 ans de la Constitution, un document qui a servi à étendre la liberté. Malheureusement, le bicentenaire d'un autre document important, mais qui sert à réduire la liberté, passe pratiquement inaperçu: la publication du Panoptique ou la Maison de l'Inspection, de Jeremy Bentham.

Je crois que l'image développée par Bentham, il y a presque 200 ans, importe beaucoup à l'époque actuelle. Dans son livre, Bentham propose un plan pour la prison idéale: inspection permanente des prisonniers et des gardiens ; cellules construites avec des barreaux (plutôt qu'avec des portes opaques) autour d'une tour centrale de surveillance. Ses idées ont inspiré la construction des prisons de sécurité maximale qui, aujourd'hui, se distinguent par leur sécurité périmétrique, leurs murs épais avec des tours de garde, leurs spots, et une surveillance de haut niveau électronique.

Les individus sont classés et étiquetés selon des examens généraux très approfondis et selon des mesures de prédiction. Les dossiers jouent un rôle important. Les rapports de collusion entre prisonniers et gardiens ainsi que l'information font la politique de base. Le contrôle dépend même de l'environnement physique (par exemple mobilier construit dans les murs) et de l'environnement physiologique (tranquillisants). Les prisonniers ne peuvent changer de secteur que lorsqu'ils sont accompagnés de gardiens ou lorsqu'ils ont obtenu un laissez-passer. Il y a des postes de vérification fréquents. La surveillance par vidéo est omniprésente. Les prisonniers peuvent être surveillés sous la douche et dans les toilettes. On compte les prisonniers et on les fouille de manière systématique.

Les conditions extrêmes d'une prison de sécurité maximale peuvent nous aider à comprendre la société en général. Beaucoup de moyens de contrôle qui se retrouvent dans les prisons et dans les systèmes de justice criminelle se répandent maintenant dans la société. Les techniques et « l'éthos » qui, autrefois, ne s'appliquaient qu'à des suspects ou à des prisonniers s'appliquent aujourd'hui dans les circonstances les plus bénignes. Il est important de se demander si l'évolution récente de la technologie, de la culture et de l'organisation sociale ne nous pousse pas à devenir une société de sécurité maximale.

Au fur et à mesure où « l'éthos » de la prison se diffuse davantage dans la société en général, le besoin de prisons véritables pourrait s'amoindrir. La société devient l'alternative fonctionnelle à la prison. C'est évidemment ce que souhaite depuis longtemps le mouvement de réforme pour la correction par la communauté. Mais ce mouvement n'avait pas prévu que la population générale deviendrait, en un sens, prisonnière au même titre que les condamnés par voie judiciaire.

La tendance en Amérique du Nord, et peut-être dans d'autres démocraties industrielles, est de s'approcher plutôt que de s'éloigner de la société de sécurité maximale. La scientifisation du travail de la police (Erikson et Shearing, 1986) offre en même temps des méthodes nouvelles et les moyens de légitimer le pouvoir de la police. C'est à la fois un instrument et une idéologie. Nous nous trouvons face à un défi intellectuel majeur pour comprendre comment et à quel point les sociétés démocratiques traditionnelles sont à la merci de la destruction de la liberté par des moyens techniques d'apparence non violente.

Je ne prends pas en considération ici les États policiers traditionnels, ni de gauche ni de droite, puisqu'une telle analyse n'apporterait rien de neuf. D'ailleurs, l'histoire de leurs systèmes de répression indique qu'ils sont maintenus par une technologie plutôt primaire, quoique cela soit évidemment en train de changer à l'heure actuelle.

Dans la société de sécurité maximale, il n'y a pas de distinction entre public et privé: nous sommes sous observation permanente, tout est transcrit dans un dossier définitif, et beaucoup de ce que nous disons, faisons et même pensons est connu et enregistré par d'autres que nous ne connaissons pas, que nous le voulions ou non, et même que nous le sachions ou non. On peut grouper et analyser des informations recueillies de régions, d'organismes et d'époques chronologiques très éloignés les uns des autres. Le contrôle préventif est imprégné d'un système où les informateurs, les dossiers et la classification prédominent.

En même temps qu'elle pénètre comme un laser, la surveillance absorbe comme une éponge. On regroupe et on étend à la société en général la surveillance intensive qui normalement ne s'applique qu'à l'investigation des suspects criminels, des cas d'espionnage ou des prisonniers.

Les éléments du « soi » sont remodelés de manière subtile en forme d'objets commerciaux et distribués malgré eux à des experts [5]. L'individu connaît moins, contrôle moins sa propre personne et doit se contenter d'un rôle plus passif face à des spécialistes qui manipulent les leviers de la machine [6]. À travers un processus abstrait, distant, dépersonnalisé, automatique, bureaucratique et, en grande partie, invisible et incompréhensible, la machine crée des informations et peut également provoquer des actions [7].

La technologie devient de plus en plus pénétrante, intruse et précise [8]. Comme Stan Cohen l'a observé, nous pouvons imaginer le réseau de recueil d'information comme un filet de pêche dont les mailles se sont resserrées et renforcées. Au monopole de l'État sur les moyens de violence se rajoute maintenant un monopole sur les moyens de recueillir et d'analyser les informations – qui pourrait même rendre le premier suranné.

Le contrôle se symbolise plutôt par la manipulation que par la coercition, par les « computer chips » que par les barreaux de prison, par des ficelles invisibles maniées de loin que par des menottes ou des camisoles de force. Paradoxalement, on voit fusionner les formes centralisées et décentralisées. D'après Foucault (1977), le contrôle ne s'exerce pas de loin comme le pouvoir monarchique ; il s'exprime plutôt à l'intérieur même des relations et des milieux sociaux à contrôler. Tel un stimulateur cardiaque, on l'implante au cœur du contexte à régler (manier/gérer).

La « Société de sécurité maximale » comprend six sous-sociétés apparentées:

1. une société programmée;
2. une société de dossiers;
3. une société actuarielle ou prédictive;
4. une société poreuse;
5. une société d'auto-surveillance;
6. une société soupçonneuse.

Prenons en considération ces six éléments majeurs.

Dans une société programmée, les choix se limitent et se déterminent grâce à l'environnement physique et social. Le but est de programmer l'élimination des problèmes. Pour y arriver, soit on vise davantage la cible (« target hardening »), soit on affaiblit le suspect (« target weakening »), ou on les élimine tout à fait. Pourquoi se fatiguer avec la tâche coûteuse de trouver les infractions et les coupables si on peut les prévenir [9] ? On conçoit le système juridique criminel comme un anachronisme qui sert à achever les blessés à la suite d'une bataille.

Les cas les plus évidents sont ceux qui concernent le corps: on utilise la psychochirurgie pour les violents, la castration chirurgicale ou chimique pour les délinquants sexuels, on coupe les mains des pickpockets, et on donne du trexan, dérivé de la morphine, aux drogués d'héroïne ou de l' antabuse aux alcooliques [10], des tranquillisants aux malades mentaux et du Dépo- Provéra dans les hôpitaux pour changer les taux hormonaux. Dans un autre secteur, on perfectionne les serrures et les chambres fortes des banques ou on transforme l'architecture en construisant des rez-de-chaussée sans fenêtre. On installe des « barrières antibandits » (verre ou plexi qui résiste aux balles) qui empêchent les cambrioleurs de sauter par-dessus les comptoirs. En prenant des mesures plus radicales, on élimine le cambriolage en supprimant le « cash », on évolue vers les transactions de vente au détail sans argent liquide grâce aux cartes de crédit (ou maintenant de « débit »).

Les régulateurs mécaniques qui limitent la vitesse des camions et des bus et les systèmes d'antivol incorporés pour les automobiles constituent d'autres exemples. Il existe un appareil incorporé au contact qui détecte les intoxiqués au volant par analyse d'haleine [11]. Une technique qui se répand consiste à bloquer les appels téléphoniques pour restreindre le type d'appel par certains usagers et à partir de certains appareils (par exemple, l'interrupteur peut être programmé pour bloquer les appels à longue distance ou les numéros les plus utilisés comme la météo).

Dans le cas où il est matériellement impossible ou trop coûteux de prévenir l'infraction, on peut programmer le système pour empêcher le criminel de jouir des fruits de son crime. On documente l'événement, on piège (celui qui est en infraction/le coupable) ou, tout au moins, on l'identifie. Voici quelques exemples: les paquets ou ampoules de teinture rouge qui explosent pour tacher l'argent cambriolé d'une banque, les emballages de sécurité pour comestibles qui sautent si quelqu'un les trafique, une super-colle qui colle littéralement sur place ceux qui entrent sans autorisation et toute une gamme d'appareils (biometric access identification) basés sur la voix, les empreintes, la photo, les signatures ou la frappe à la machine à écrire.

On connaît déjà beaucoup de faits concernant la société des dossiers. Les archives sur ordinateur, ainsi que ce que Kenneth Laudon (1986) appelle notre « image de données », sont à la base du fonctionnement de la société. Il est possible que la Suède représente le prototype de la société de dossiers avec son identificateur universel et plus de cent banques de données gouvernementales pour chaque adulte.

Les compagnies de carte de crédit, les lignes aériennes, les hôtels et les agences de location de voiture enregistrent nos dépenses ainsi que les lieux et la durée de nos déplacements. Les dossiers de santé sont mis de plus en plus sur ordinateur: plus de neuf Américains sur dix ont des polices d'assurance individuelle ou de groupe. Même les pharmaciens ont commencé à constituer des dossiers sur les médicaments consommés par chaque patient et sur son profil de santé. Les opérations bancaires individuelles se font de plus en plus par des guichets électroniques et par autorisation électronique de chèques et de cartes de crédit. Le transfert électronique est devenu une opération de base des banques. Les opérations sans cash (transfert électronique de fonds sur place) représentent un pourcentage croissant de toutes les ventes. L'importance et l'étendue des banques de données de la justice criminelle, comme le Centre National de Justice Criminelle du FBI, continuent de croître [12].

En dehors du fait que la quantité d'information disponible a augmenté, le phénomène de l'ordinateur a transformé la nature de la surveillance de manière qualitative. Avant l'arrivée de l'ordinateur, les bureaucrates vérifiaient les dossiers surtout pour des erreurs, des contradictions ou des informations qui manquaient. Mais avec l'ordinateur, la surveillance est devenue routinière, élargie, approfondie. Des bribes éparpillées d'information qui, dans le passé, ne menaçaient pas la vie privée et l'anonymat de l'individu, peuvent maintenant être groupées. Les mémoires organisationnelles s'étendent à travers le temps et l'espace. Les observations prennent une qualité de texture, de dimension étoffée. Plutôt que de viser l'individu séparément à un moment précis dans le temps et selon des données démographiques statiques comme une date de naissance, la surveillance comprend des analyses transactionnelles de plus en plus complexes, qui font les corrélations entre gens et événements (par exemple, la synchronisation d'appels téléphoniques, de déplacements, de versements bancaires).

Il existe à l'heure actuelle une nouvelle industrie prospère à base d'ordinateur qui vend les renseignements empruntés (« charognards des données ») de sources telles que les permis de conduire, les listes d'immatriculation de véhicules et d'électeurs, les extraits de naissance, les certificats de mariage et de décès, les titres de propriété, les annuaires téléphoniques et les fichiers de recensement (Marx et Reichman. 1984). De plus en plus, on complète les profils à partir de renseignements tirés de plusieurs sources et ensuite on les groupe.

Il devient impossible d'échapper à son passé et on court le risque de stigmatisation définitive. Soljenitsyne a remarqué:

Au cours de sa vie, chaque homme remplit un certain nombre de formulaires pour les registres et chaque formulaire contient un certain nombre de questions... Il y a ainsi des centaines de petits fils qui se diffusent de chaque homme, en tout des millions de fils... Ils ne sont pas visibles, ils ne sont pas tangibles... mais chaque homme est constamment conscient de leur existence... Et pour chaque homme qui est conscient à jamais de ses propres fils invisibles, il est normal de cultiver un certain respect envers les gens qui manipulent les registres.

Étroitement liée à l'ordinateur, on trouve la société actuarielle ou prédictive où les décisions nous concernent non pas en tant qu'individus à part uniques ou selon notre conduite actuelle, mais en tant que membres d'une catégorie statistique avec une probabilité donnée d'agir d'une manière prévisible dans l'avenir.

Les domaines en expansion de l'intelligence artificielle et du réseau d'experts sont pour cela essentiels. Depuis la dernière décennie, dans le domaine de la justice criminelle, la prévision par ordinateur du risque, ainsi que d'autres formes de prédiction similaires, sont devenues très répandues. On classifie les détenus et on détermine la mise en liberté surveillée ou en liberté « sur parole » au moyen de systèmes complexes. En outre, l'utilisation de profils productifs pour permettre aux gens d'entrer ou de sortir des systèmes (et pour déterminer comment on les traite à l'intérieur d'un système) s'étend à un nombre croissant de domaines – prêts bancaires, crédits au consommateur, assurance, emploi, soins médicaux, accès aux écoles et aux universités.

Dans une société d'auto-surveillance, les surveillés se chargent de manière active de leur surveillance, quoiqu'ils ne le fassent pas toujours volontairement ou en connaissance de cause. C'est le summum du contrôle social décentralisé, se conformant à la tendance à généraliser le contrôle. On attend de manière générale une fonction de sécurité de tous les rôles (que l'on surveille les autres ou soi-même) et non pas uniquement de ceux qui sont désignés officiellement comme agents de contrôle.

Souvent, la surveillance s'active automatiquement. Nous devenons, à un degré sans précédent, les conspirateurs de notre propre surveillance – que ce soit une condition de travail, un déplacement en avion, des prestations sociales, des courses au centre commercial, des achats de consommation, ou des appels téléphoniques. Nous semblons de plus en plus prêts, voire impatients, à proposer des informations personnelles et à nous soumettre à des auto-investigations grâce aux avantages que nous imaginons en tirer [13].

Des réseaux de surveillance peuvent se déclencher directement lorsque quelqu'un marche, parle au téléphone, met la télé, passe avec un article étiqueté magnétiquement (que ce soit un livre de bibliothèque ou un article de consommation) par un point de surveillance, et lorsqu'on entre ou sort d'un lieu-contrôle. Les systèmes de détection de voix et de langage qui enregistrent ou envoient un message lorsque certaines paroles apparaissent, les récepteurs de poche (« station message detail recording »), la surveillance par vidéo, les cartes de contrôle d'accès, la surveillance par ordinateur et les contrôles pour la drogue, sont quelques exemples supplémentaires. Lorsque le président des États-Unis, ainsi que les membres de son cabinet, fournissent volontairement des échantillons d'urine comme preuve d'absence de drogue, ils fournissent en même temps l'un des exemples les plus bizarres et les plus surréalistes de la décennie de la surveillance par participation [14]. Notons aussi le cas du politicien qui a lancé à son adversaire le défi d'un examen d'urine pour prouver qu'il ne se droguait pas. Il existe aussi toute une gamme de « kits de surveillance » à domicile. Actuellement, on est en train d'essayer des mini-cartes de poche qui pourront mettre en mémoire jusqu'à 800 pages d'information.

Il existe de plus en plus des lignes directes (« hot lines ») pour signaler, à propos des autres ou de soi-même, une gamme importante de comportements à problèmes (drogue, suicide, états dépressifs, crime). Les téléphones de voiture, de jardin, de salle de bains, les relais d'appels et les enregistreurs de messages facilitent encore la tâche.

Il faut aussi mentionner les formes intermédiaires de communication subliminaire. Sans aller jusqu'au Manchurian Candidate, extrême de la science fiction, nous trouvons dans la vie quotidienne, de la musique dans les grands magasins qui contient des messages cachés qui disent « ne volez pas », « on gagne à être honnête ». Nous avons des programmations d'ordinateur destinées à être transmises par terminal de vidéo qui peuvent projeter des messages-flash comme « mon monde est paisible ». Mais sans pour autant que le sachent les auditeurs/spectateurs/receveurs, le message peut aussi bien être: « si vous les aimez, achetez-leur des cadeaux chers », « travaillez plus vite » ou « votez oui ». Nous sommes au seuil d'une subtile auto-programmation.

Liés à l'auto-surveillance se trouvent les « mass-media ». Il est peu pratique et coûteux pour l'État de surveiller tout le monde constamment. Il est bien plus efficace de capter l'attention du public par un stimulant qui transmet les messages directs et indirects sur la conduite correcte à tenir, accompagnés de contes moraux sur le sort de ceux qui s'écartent du (droit) chemin [15].

Dans la société poreuse, nos sentiments et nos pensées, ainsi que nos actions, sont rendus visibles. Dans la société poreuse, les fuites d'information se déchaînent. Les barrières et les frontières – de distance, d'obscurité, de temps, les murs, les fenêtres et même la peau, toutes fondamentales à notre conception de la discrétion, de la liberté et de l'individualité, s'effondrent [16].

La surveillance peut se faire de loin, sans visibilité et sans coûter cher. Elle devient de plus en plus intensive, étendue et catégorique. Comme dans la découverte de l'atome ou de l'inconscient, de nouvelles techniques de contrôle déterrent des bribes de réalité qui, auparavant, restaient cachées ou ne divulguaient pas d'indices d'information. Les gens sont, dans un sens, retournés à l'envers et ce qui, au préalable, était invisible ou sans importance, devient visible et important. Cela peut comprendre des appareils de détection de l'ère spatiale qui analysent la chaleur, la lumière, la pression, le mouvement, l'odeur, les processus chimiques ou physiologiques pour donner un sens aux émanations physiques. Ceci s'ajoute au sens attribué aux caractéristiques et aux comportements individuels visibles lorsqu'on les juge par rapport à un profil prédictif sur des données collectives.

Lorsqu'on fusionne le pan-optique et la pan-auditif, la pan-sensoriel et toute une panoplie d'appareils panoramiques, on obtient un dossier très compréhensif. Prenons l'exemple des indicateurs multiples qui se trouvent dans les systèmes de sécurité des chaînes de boutiques ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les dites « integrated management security systems » qui existent maintenant proposent des informations audiovisuelles et digitales sur le comportement des employés et des acheteurs (clients/consommateurs) [17]. Pour les participants au « Behavior Scan » (une expérience de recherche de marketing), ce qu'ils regardent à la télé est mis en corrélation avec les fiches de leurs achats de consommateur. On essaie même de relier les « beepers électroniques » qui servent dans les maisons d'arrêt avec les analyses d'haleine et les systèmes vidéos.

Autant que les ouvriers ou les pièces qui servent à la production à la chaîne, les données de la surveillance sont devenus étalonnées – que ce soit dans les dossiers d'ordinateur, dans les bandes magnétiques ou vidéos, ou dans les « signatures » biométriques. L'information se convertit en forme digitale, facile à transporter, à reproduire et à transférer.

La société poreuse est bien illustrée dans la chanson « Every Breath You Take », un tube récent du célèbre groupe de rock Police. Elle est plutôt une chanson d'amour qu'une chanson contestataire, mais elle saisit bien les éléments de la nouvelle surveillance – comme dans les vers suivants:

chaque fois que tu respires (analyseur d'haleine)
chaque fois que tu bouges (détecteur de mouvement)
chaque lien que tu romps (polygraphe)
chaque pas que tu fais (manille électronique)
chaque journée (surveillance continue)
chaque mot que tu dis (micros clandestins)
chaque nuit que tu restes (amplificateur de lumière)
chaque serment que tu romps (analyse de stress vocal)
chaque sourire que tu feins (analyse d'ondes du cerveau)
chaque fois que tu réclames (appariement par ordinateur).

Si l'auteur de cette chanson avait écrit quelques années plus tard, il aurait ajouté: « chaque fois que tu vas aux toilettes », « chaque clin d'œil que tu fais », « chaque prise de sang qu'on te fait », « chaque fois qu'on te coupe les cheveux », pour inclure les tests de drogue par analyse d'urine, de cheveux et d'onde du cerveau [18].

L'essentiel de la société soupçonneuse est illustré dans un échange verbal du roman Gorky Park. L'inspecteur de police demande au personnage principal qui il soupçonne d'avoir volé ses patins à glace. Il répond: « Tout le monde. » L'inspecteur réplique: « Moi aussi. » Dans la mise en œuvre du cauchemar kafkaïen, la société moderne, elle aussi, soupçonne de plus en plus tout le monde, tout le temps. La caméra, le magnétophone, la carte d'identité, le détecteur de métal, la feuille d'impôts obligatoire qui doit être remplie même si l'on n'a pas de revenus et, bien sûr, l'ordinateur ont tout le monde à leur portée comme cibles pour la surveillance. Pour paraphraser une observation célèbre: « La suspicion, comme la pluie, tombe aussi bien sur les innocents que les coupables. » La supposition napoléonienne que tout le monde est coupable jusqu'à ce qu'il soit prouvé innocent, s'étend bien au-delà de la justice criminelle et des pays francophones.

La technologie bon marché facilite la méfiance catégorique en permettant une surveillance continue et compréhensive ainsi qu'une vision sceptique de la science. On peut réfuter une affirmation empirique, mais on ne peut pas la prouver. Dans un film de Woody Allen (« The Front ») à propos de l'ère de Joseph MacCarthy aux États-Unis, il y a un dialogue célèbre. Un investigateur dit, à propos d'un personnage: « Il n'y a pas de preuve qu'il soit communiste, mais par contre il n'y en a pas non plus qu'il ne le soit pas. » Ce qui est vrai aujourd'hui ne l'est pas nécessairement demain. Ainsi un polygraphe, un test pour la drogue ou le SIDA est peut-être valable au moment où on l'utilise mais pas forcément deux mois plus tard.

Le leitmotiv qui se trouve dans tout ce qui a été dit ci-dessus est celui de la prévention des infractions. Les technologies qui dépassent les barrières qui traditionnellement obligeaient la police à attendre qu'une infraction soit commise avant d'intervenir et les technologies prédictives renforcent ce travail [19]. Plutôt que de réagir à ce qui nous est servi, les stratégies d'anticipation cherchent à réduire le risque et l'incertitude. L'organisation bureaucratique et le management moderne conforme à l'idée du rationnel (de la rationalité), essaient de rendre le contrôle plus prévisible, sûr et efficace. On laisse le moins possible au hasard. Le contrôle s'étend à un nombre croissant d'éléments de l'environnement. À l'image ouvertement hostile du contrôle social où les autorités se distinguent par leurs uniformes et leurs actes de coercition, se rajoute une image plus voilée, plus manipulative.

La bonne nouvelle et la mauvaise nouvelle

Lorsque je suggère un parallèle entre la sécurité maximale de la prison et la société contemporaine, je le fais métaphoriquement [20]. Celle-là représente un type idéal par rapport auquel nous jugeons la proximité ou la distance d'une société donnée ou d'une méthode donnée. Certaines sociétés s'en approchent plus que d'autres et les établissements varient beaucoup dans leur capacité de créer de telles conditions.

Il y a bien sûr un pas de géant de la société contemporaine jusqu'à la cage en fer d'un avenir totalitaire. Je ne suis pas pessimiste à tout prix. Mais il est important de voir le tableau en entier et de voir dans les changements de la justice criminelle le début d'un ensemble de transformations qui pourraient bien modifier nos institutions et nos valeurs de base.

Je ne suggère pas que toutes les nouvelles soient mauvaises et je ne suis pas prêt à admettre que Brecht avait raison de dire que « la personne qui sourit est celle qui n'a pas encore entendu la mauvaise nouvelle ». Le sujet est fascinant grâce à ses implications contradictoires et grâce au fait que les valeurs sont en conflit.

Il est possible que l'orchestration sociale prévienne la victimisation et que les dépenses de ressources pour les agents de contrôle après coup ne soient pas nécessaires. Ceci pourrait canaliser aussi bien la conduite des agents de contrôle que celle de ceux qu'ils surveillent. Elle peut augmenter la responsabilité parmi les deux groupes avec un dossier et une identification de chaque acteur. Cependant, la liberté d'innover, de manière positive autant que de manière négative, est réduite. La société pourra devenir moins humanitaire et plus mécanique. Les gens sont déjà socialisés au point d'accepter le conformisme comme étant légitime. On n'a pas besoin de se demander où se trouvent les racines de la motivation de la déviance. Un système social basé sur un conformisme provoqué par des moyens techniques externes sera probablement très instable.

La société de dossiers peut étendre les mémoires d'organisations de manière positive en identifiant les magasins ayant reçu les produits en boîte contaminés, en réduisant la fraude dans la sécurité sociale, en empêchant les conducteurs irresponsables d'emprunter la route, en empêchant les auteurs de détournement de fonds d'être employés de banque ou en adaptant mieux les services aux besoins. Mais cela veut aussi dire qu'on ne peut jamais échapper à son passé, même si on a déjà payé sa dette à la société. Par crainte de le voir apparaître dans un dossier, certains pourraient éviter des conseils psychiatriques alors qu'ils en auraient besoin. Ils pourraient ne pas contester de mauvaises conditions de logement ou de travail par crainte de se retrouver dans une banque de données. Prendre des risques, innover se ferait moins. L'impression subjective d'être surveillé serait en hausse alors que le sentiment de la liberté serait en baisse.

Dans beaucoup de cas, les décisions prises à l'aide de la science actuarielle présentent une plus grande probabilité d'être justes. C'est une stratégie de base de la société de parier les grands nombres. Cela peut éliminer la discrimination flagrante basée sur des facteurs ouvertement racistes ou sexistes. Mais en matière de justice, de santé ou d'emploi, ça peut coûter cher à l'individu statistiquement atypique. Les décisions à partir des critères de groupe peuvent être en conflit avec nos notions de justice et d'équité (« due process ») et avec le droit d'être jugé en tant qu'individu. Ce qui est rationnel pour le collectif ou la collectivité pourrait être injuste, voire faux, dans un cas individuel. Les décisions pourraient se faire non pas à partir d'un individu entier et d'un jugement humain, mais automatiquement à partir d'images de données impersonnelles et désincarnées, grâce à un « expert system » (système expert).

La société poreuse se base sur des principes foncièrement démocratiques de visibilité: pour obliger les individus et les organisations à être responsables, il nous faut de la franchise et de la documentation. En cachant les choses, on peut produire et protéger des actes infâmes et des erreurs. La notion française de la « transparence » concernant l'information qui se trouve dans les banques personnelles de données ainsi que l'Acte de Libre Usage d'Information (« The Freedom on Information Act ») aux États-Unis indiquent que l'on est conscient de ce problème. C'est aussi la raison d'être des «  paper trails » [21] et d'une gamme d'appareils de surveillance pour contrôler les contrôleurs. Mais les techniques contemporaines de surveillance peuvent être fort intruses et indiscrètes et peuvent nuire à la vie privée, à la liberté, à la dignité.

On peut concevoir l'auto-surveillance comme la forme la plus évoluée du contrôle social puisqu'elle est volontaire. Grâce à sa nature décentralisée, elle est probablement la moins chère aussi. Cependant, si l'on ne trouve pas la société juste, elle peut être considérée comme l'ultime dégradation, tandis que les individus manipulés creusent leurs propres tombes. La compulsion sous-jacente est camouflée et l'on crée une fausse conscience. Ceux qui observent la fragilité de la société démocratique ont signalé depuis longtemps l'importance d'une vigilance et d'une méfiance saines de ceux qui règnent. Être sceptique et ne pas se fier aux apparences du monde sont des ingrédients de sagesse et de progrès scientifique. Mais, poussée trop loin, la suspicion détruit la communauté et la confiance de base des rapports humains constructifs.

Le manager de l'ex-champion du monde de boxe des poids lourds, Sonny Liston, a remarqué: « Il a beaucoup de bonnes qualités. Ce sont ses mauvaises qualités qui sont moins bonnes. » C'est également le cas ici pour les nouvelles technologies. Ce sont aussi leurs mauvaises qualités qui ne sont « pas si bonnes ». Le fait qu'il existe un côté positif ne mérite pas un optimisme effréné. Les avantages à court terme sont en général plus évidents que les coûts à long terme. D'autre part, les forces idéologiques et économiques qui préconisent le changement technique sont généralement plus puissantes que celles qui soutiennent la prudence et la contrainte [22].

Nous nous trouvons à l'aube (ou, vu d'une autre perspective, au crépuscule) d'une ère nouvelle de techno-contrôle. La technologie ne va pas disparaître. Mais, sans quitter le ballon des yeux, il nous faut aussi surveiller de près le terrain entier. Il faut nous rendre compte que ce qui fait pousser l'arbre isolé peut être nocif à la longue pour la forêt toute entière. Il faut que nous soyons aussi conscients des dangers que nous le sommes des avantages et nous devons maintenir l'équilibre approprié entre les moyens et les fins. Notre capacité d'agir ainsi se voit augmentée à travers une analyse critique des suppositions qui entourent la technologie.

Techno-erreurs (sophismes)

Ce qui vient d'être dit cherche à présenter un cadre assez vaste pour aborder ces changements. C'est une macro-perspective faite pour sensibiliser. Je voudrais maintenant faire quelques remarques plus spécifiques destinées à guider la politique dans des contextes particuliers.

Nous gravitons vers une société de sécurité maximale avec un certain nombre de suppositions, soit empiriques, soit axiologiques, que je trouve fausses. Avant d'accepter d'office des innovations techniques, il est important d'examiner les suppositions sur lesquelles elles s'appuient, qu'elles soient axiologiques ou empiriques. Prenons-les en considération.

1. L'illusion du repas gratuit ou des soins dentaires sans douleur, autrement dit le fait de croire à des solutions sans coûts. Toute dépense de ressources précieuses comprend d'avance des occasions perdues. Tout format, toute structure canalise et exclut à la fois. Un bon profil d'ordinateur peut, par exemple, augmenter le nombre d'arrestations parmi les moins compétents mais, par contre, peut, pour les délinquants avertis qui connaissent le système, les aider à éviter la détection.

2. À l'illusion du repas gratuit s'ajoute l'erreur de la quantification (qui détermine les coûts et les avantages en termes de choses faciles à mesurer). Ceci se réduit souvent à l'argent. Aux États-Unis, le rôle dominant des économistes, par rapport aux philosophes ou aux spécialistes des sciences sociales, joue beaucoup dans ce problème. Pour l'illustrer, je prends l'exemple de quelqu'un pour qui la valeur de la peine capitale se base sur les coûts respectifs de l'exécution du condamné et de son maintien en vie. Selon une étude récente aux États-Unis, la première solution serait moins coûteuse.

3. L'erreur du court-terme comprend la tendance à ne voir que la période actuelle. Nous sommes conscients de ce problème lorsqu'il s'agit de l'exploitation de la nature mais il est tout aussi réel dans les pratiques sociales. Il est surtout probable dans les sociétés pragmatiques avec des politiques électorales qui insistent sur la mobilité sociale de l'individu.

4. L'erreur de redisposer les transats sur le Titanic plutôt que de guetter les icebergs. Elle peut provenir d'une erreur sur le problème à résoudre ou d'une mauvaise analyse des causes. Cela peut vouloir dire que l'on opte pour le traitement des symptômes plutôt que pour la recherche des causes. Des réparations techniques (améliorations dans le hardware de sécurité ou la manière psychologique d'aborder les problèmes) ne présentent souvent que des bouche-trous. On doit les renforcer en prêtant attention aux causes plus profondes et à l'image complète.

5. La fausse idée que les moyens ne déterminent jamais les fins. Pour quelqu'un qui a un marteau à la main, le monde ressemble à un clou. Le fait de pouvoir faire quelque chose crée souvent la nécessité de le faire, sans prendre en considération les conséquences indésirables et non voulues. Selon un «  Deputy Superintendent » de la Police de l'État de New York: « si nous disposons de la technologie pourquoi ne pas s'en servir ? [23] » Le président Truman est réputé avoir dit quelque chose de semblable concernant la bombe atomique. Il y a des commissariats de police qui ont trouvé que les ordinateurs aident beaucoup à percevoir les revenus des contraventions et des infractions de la route. C'est un travail relativement propre et qui crée des statistiques de succès assez impressionnantes. Il peut en résulter que l'on renforce alors l'application de la loi en ce qui concerne le code de la route aux dépens des objectifs traditionnels de la police. Les problèmes doivent déclencher des recherches de solutions, et non pas l'inverse.

6. La fausse idée de pouvoir contenir ou éviter l'escalade (ou la fausse idée que la technologie restera toujours la solution plutôt que de devenir le problème). Contrairement à la leçon du Dr Frankenstein, cette idée consiste à croire que nous pouvons contrôler la technologie, plutôt que l'inverse. Lorsqu'il s'agit de vendre l'idée au public, les moyens puissants et potentiellement menaçants sont déployés dans des conditions très limitées, ou uniquement contre les délits les plus graves. Mais les tactiques qui s'appliquent d'abord aux animaux pourraient s'appliquer ensuite aux prisonniers, puis aux gens qui dépendent de la sécurité sociale et aux enfants, et enfin au grand public.

7. La fausse idée que les dépenses croissantes et la technologie plus puissante vont continuer à donner un rendement de manière linéaire. Ou, comme une affiche pour enfant nous le représente en montrant un bateau rempli d'hippopotames qui coule: « Plus n'est pas toujours meilleur. » Contrairement à notre tradition d'édification, c'est peut-être le cas quand il s'agit d'information (Michael, 1984). Il est possible qu'on souffre de surabondance d'information et, comme avec les médicaments, il peut y voir des effets de seuil [24].

8. La fausse idée de la victoire définitive. L'idée d'une lutte contre le crime où il y a une victoire définitive ignore le rôle de l'invention humaine dans une économie de marché libre avec une protection des droits civiques. Il n'existe pas de solution trouvée par un groupe de gens intelligents qui ne peut être contournée par un autre groupe tout aussi intelligent, sinon par les moyens techniques, tout au moins par des moyens traditionnels de corrompre et de compromettre les agents de contrôle social. Cela comprend aussi les échanges d'avantages de toutes les solutions. Des dialectiques parallèles apparaissent quand des nouvelles formes de contrôle de la défiance génèrent des efforts nouveaux de la part des contrôleurs ou des violateurs pour les neutraliser. Ainsi, le système d'antivol de voitures par blocage de la direction a cédé rapidement à un outil qui contourne cette astuce tandis que le polygraphe et le test pour la détection de la drogue sont devenus du domaine public.

9. La fausse idée du dispositif de sécurité positif à 100 % (« fail- safe »). Il s'agit ici de la croyance selon laquelle les machines ne font pas d'erreurs et ne peuvent pas être dupes [25]. Or, on peut mettre en cause leur sûreté, leur validité. On sait que le polygraphe, le « voice print » et les tests de détection de drogue sont loin d'être parfaits. Et, mis à part un effort conscient pour déjouer une technologie, ce qui réussit bien en laboratoire contrôlé peut échouer dans un monde réel désordonné. Ainsi les ondes d'un « beeper électronique » se trouvent bloquées par l'eau dans une baignoire ou un lit sur l'eau (waterbed), le métal dans un papier peint de mylar ou dans une caravane, sans parler des problèmes de pannes de courant ou de téléphone.

10. La fausse idée d'un environnement passif sans réaction, ce qui est en relation avec les conséquences inattendues. Il faut voir les innovations comme des variables nouvelles dans des circonstances dynamiques. Il existe un principe social « Heisenberg » qui, avec le temps, réduit l'effet de beaucoup de solutions. Des contrôles neufs lancent le défi et occasionnent d'autres infractions.

11. La fausse idée de la neutralité technique. Les notions égarées d'une neutralité technique peuvent masquer les aspects politiques, sociaux et éthiques. La réponse de George Orwell à une telle affirmation: « La jungle aussi est neutre » s'applique ici. La technologie se développe et s'applique dans un contexte social qui n'est ni neutre ni égal. Dans certains cas (si l'on cite Sartre à l'envers), ce serait « l'illusion des mains propres ». Quoiqu'il existe un éloignement de l'agent de l'action déclenchée par un processus automatique, il y a quand même une responsabilité morale. Elle a été tout simplement masquée et rendue diffuse. Nous sommes tous victimes de la situation où un petit bureaucrate nous répond: « Mais selon l'ordinateur… » Il reste indifférent au rôle des agents humains qui déterminent les règles et qui réunissent les données et les fournissent à l'ordinateur. Cet éloignement mécanique, cet obscurcissement rendent plus faciles des actions inhumaines et compliquent les efforts de contrôler les contrôleurs.

12. La fausse idée que l'on puisse déléguer les décisions à une machine sans avis humain sur l’action recommandée. Les programmations d'ordinateur sont « hors contexte » et dans beaucoup de cas ne peuvent pas s'adresser à la complexité de la réalité comme le peut un être humain. C'est spécialement le cas dans les circonstances atypiques ou atténuantes. Dans le jargon de l'ordinateur, il faut que « human interface in the loop ». L'exemple le plus évident est l'image de science fiction d'une guerre provoquée automatiquement par une erreur provenant des détecteurs électroniques.

13. La fausse idée que si l'on arrive à patiner sur une fine couche de glace, il est normal de le faire. Il ne suffit pas de démontrer qu'une tactique peut obtenir des résultats sans conséquences désastreuses. Il faut aussi examiner la probabilité et le coût des échecs catastrophiques.

14. La fausse idée de supposer que si un ou une critique met en question les moyens, il ou elle doit aussi s'opposer à la fin. L'inverse est une fausse idée réconfortante: si l'on a de bonnes intentions, on aura de bons résultats. Ou bien, si les résultats sont mauvais, c'est excusable. La première idée est une tactique classique de calomnie: ceux qui s'opposent aux moyens non contrôlés et fortement indiscrets approuveraient l'abus de drogues, la subversion ou le vol contre lesquels on dirige ces tactiques. À la fois sur le plan stratégique et le plan humanitaire, les critiques doivent reconnaître l'engagement moral qui motive souvent les champions de la surveillance. Il est parfois possible de suggérer une alternative. Et sinon, il faut faire remarquer que les moyens de guérir sont parfois pires que la maladie.

15. La fausse idée que seuls les coupables doivent craindre la technologie intrusive (ou si l'on n'a pas fait de mal on n'a rien à cacher). Cette notion ignore un principe fondamental de la société occidentale: les moyens, autant que les fins, ont une composante morale. Une société incapable de distinguer entre le crime et la justice criminelle court vers la catastrophe.

À propos de guillotines et de criminologues

Thomas Edison a exprimé l'espoir que « ce que la main de l'homme crée, la tête de l'homme contrôle ». Cependant, même si l'on rejette les fausses idées ci-dessus, il faut se rendre compte que les changements cités ne sont pas des cas isolés. Ils ont lieu petit à petit et, en apparence, pour des raisons bénignes. Pris à part et dans un but précis, ils peuvent paraître socialement souhaitables. Mais lorsqu'on les observe dans leur totalité à travers des décennies, ils introduisent une société tout à fait autre. On doit tenir compte de leur impact accumulé.

Si les démocraties industrielles de l'Ouest doivent céder un jour au totalitarisme, cela adviendra non pas par cataclysme mais par accroissement. Dans son roman It Can 't Happen Here, Sinclair Lewis prétend que le changement viendrait sous le masque de la tradition, avec l'érosion progressive des libertés. La participation volontaire, les raisons d'être bienfaisantes et les changements de langage et de définitions culturelles en obscurciraient les aspects négatifs. On dit que si l'on laisse tomber une grenouille dans de l'eau très chaude, elle sautera hors de l'eau tout de suite. Mais qu'est-ce qui arrive lorsqu’on la met dans de l’eau froide que l'on fait chauffer tout doucement?

Dans beaucoup de secteurs d'affaires internes du pays, nous sommes loin de la société décrite par Orwell [26]. Mais, le fait de juger le degré de liberté par des normes traditionnelles peut donner une vision trop étroite et un optimisme non justifié.

S'inspirant d'expériences européennes récentes, l'État d'Orwell contenait en même temps des formes de contrôle social violentes et non violentes (« une botte écrasant un visage humain » et « Big Brother » qui surveille. En liant ces phénomènes, Orwell ne proposait qu'un modèle, parmi plusieurs, de contrôle totalitaire. Dans la société contemporaine, les formes violentes et non violentes de contrôle ont été séparées et celles-ci sont en croissance. Depuis quatre décennies, des formes de contrôle plus subtiles, d'apparence moins coercitive, ont émergé. Le fait qu'elles existent dans des sociétés toujours aussi démocratiques, où l'État se sert moins de la violence, peut nous aveugler en ce qui concerne leur potentiel inquiétant. Les menaces à la vie privée, à la liberté ne doivent pas être associées uniquement à l'État et l'emploi de la force. Elles peuvent faire leur apparition aussi bien au service de fins bénignes que de fins totalitaires. Huxley, avec sa technocratie d'apparence bénigne, est sans doute un meilleur guide à l'avenir qu'Orwell.

L'absence d'oppression physique est une condition nécessaire mais non pas suffisante de la liberté. Le fait qu'il existe des formes de contrôle plus subtiles soit à l'intérieur des États démocratiques ne veut pas dire qu'il faut relâcher notre vigilance. Même si nous n'y sommes pas encore, nous nous approchons d'une société de sécurité maximale au lieu de nous en éloigner.

Orwell n'avait pas prévu la possibilité d'une société avec des empiètements importants sur la vie privée, la liberté, l'autonomie, même dans un environnement relativement non violent, équipé de formules démocratiques et de remparts contre le totalitarisme.

La première tâche d'une société désireuse de sauvegarder la liberté et la vie privée consiste à veiller à l'abus de coercition de la part de l'État et des particuliers. La seconde est de veiller contre les plus subtiles formes de contrôle secret et manipulateur. Vu la nature subtile, indirecte, invisible, diffuse, trompeuse, et enveloppée de justifications bénignes de ce dernier, la seconde tâche est évidemment la plus difficile.

Il y a une histoire apocryphe au sujet de trois criminologues condamnés à la guillotine. Le bourreau place la tête du premier sur le billot et il coupe la corde, mais le couperet ne tombe pas. On prend le phénomène pour un acte de Dieu et on libère le prisonnier. On amène le deuxième criminologue et la même chose se produit. Lorsqu'on amène le troisième au billot, il lève la tête et il dit: « Attendez une minute. Je crois que je peux vous réparer ça. » J'espère que dans nos nobles efforts de nous servir de la technologie pour réparer le système de justice criminelle, nous ne serons pas victimes de l'autodestruction ou de la destruction sociale.

Notes:

1. Préparé pour le XXXVIIIe Cours International de Criminologie, « Nouvelles Technologies et Justice Pénale », Université de Montréal, 21 août 1987.

2. M.I.T., Cambridge. Massachusetts.

3. Certains thèmes de cet exposé sont développés davantage dans Marx et Reichmann (1986 a, b ; 1988).

4. Dans une réserve naturelle en Nouvelle-Zélande, mon fils a vu une pancarte qui visait beaucoup plus loin que la conservation ou l'écologie: « Le vrai écologiste sait qu'il n'a pas reçu le monde comme cadeau de ses parents ; il l'a emprunté à ses enfants. »

5. Jean-Paul Brodeur (1984) note que « le soi est devenu objectivité et l'être intérieur a été expulsé par la technologie de l'information ».

6. Voir comme exemple la discussion d’Egon Bittner (1983) sur le rôle de la technologie dans la société contemporaine.

7. Une telle action peut être immédiate lorsque, par exemple, une trouvaille d'ordinateur provoque une annulation de prestations sociales et génère une lettre d'ordinateur qui prévient le coupable de ce fait; ou bien lorsqu'un guichet automatique refuse de rendre une carte s'il y a erreur répétée du code.

8. Prenons par exemple le changement dans l'identification des prises de sang. Auparavant, il n'était possible d'exclure un suspect que si l'on pouvait démontrer que les types de sang ne correspondaient pas. Maintenant, l'analyse par l'ADN rend possible une identification positive. Ceci réduit la possibilité d'une conviction erronée et augmente le nombre de condamnations des coupables, mais, en même temps, peut amener à un triage du grand public.

9. L'idée de la prévention par le moyen de « l'orchestration » de l'environnement physique existe de longue date (par exemple, l'histoire des verrous ou des marques indélébiles sur la propriété ou les personnes). Ce qu’il y a de nouveau, ce sont l'échelle de l'entreprise, les ressources qui lui sont disponibles, et sa priorité en tant qu’objectif. En même temps, l'attention prêtée à garder les gardiens augmente. – Voir Shearing et Stenning (1984) pour l’exemple de la manipulation de l'environnement à Disney World en Floride.

10. Le premier empêche l'ivresse et le deuxième fait vomir.

11. Pour contourner ceci, on conserve de « l'air propre » dans un ballon, on fait démarrer la voiture avant de boire, ou on fait démarrer la voiture par un camarade qui n'est pas saoul.

12. Aux États-Unis, un Comité de Conseil (Fédéral) a approuvé une expansion de ce système qui permettrait aux agences chargées de l'application de la loi d'échanger des informations sur les « individus suspects » qui n'ont pas été inculpés ou jugés. Une simple vérification de nom suffirait pour savoir si d'autres agences avaient demandé des renseignements sur la même personne. Une proposition pour relier le Centre National d'Information Criminelle aux banques de données du secteur privé a été, cependant, rejetée (cette fois-ci).

13. Évidemment, dans certaines situations, les gens ne se conforment volontairement que de manière très superficielle quoi qu'en disent les autorités qui cherchent à rendre légitime ce genre de procédure. La distinction entre la contrainte et la coopération volontaire paraît de plus en plus floue. Il est possible que la publicité influence les gens les convainquant qu'il leur faut des choses nuisibles ou destructives. Parfois, les gens fournissent des données ou se soumettent aux détecteurs de mensonges ou à d'autres tests « volontairement » uniquement parce qu'ils craignent qu'ils perdront leurs primes de sécurité sociale ou leur job. Par exemple, un porte-parole d’IBM a noté à propos de leur politique de tester les candidats pour la drogue: « C'est au candidat de décider – on ne le force pas de s'y soumettre – mais il faut le faire si l'on veut être pris en considération dur le job » (Denver Post, le 7 février 1985). Dans le même style, les panneaux à l'entrée des bâtiments du gouvernement des États-Unis annoncent que ceux qui entrent acceptent que leurs sacs et leurs paquets soient fouillés. Les panneaux existent pour des raisons légales, mais leur logique laisse à désirer puisque ceux qui sont sujets à l’inspection entrent dans le bâtiment par nécessité. – On pourrait écrire une étude intéressante sur les exigences croissantes de rapports obligatoires au gouvernement, en commençant par les impôts et les lois concernant la conscription militaire.

14. Ce n'est pas le genre de « fuite » (« lerk ») que les employés gouvernementaux fournissent traditionnellement.

15. Rule (1983) note que les mass-media et la surveillance des masses font partie d'une plus vaste mobilisation de la population, à l'intérieur de laquelle on intensifie les liens directs entre les institutions centrales et les citoyens.

16. Les techniques utilisées ici constituent « la nouvelle surveillance ». Cette partie est tirée de Marx, 1986. Voir aussi Landreville (1987) et Ball, Huff et Lilly (à paraître).

17. Par exemple, l'information peut être enregistrée à partir d'inscriptions de caisse enregistreuse, de voix, de mouvement, de personnes marchant sur un tapis armé d'un détecteur. Les systèmes d'alarmes et les enregistrements audio et/ou visuels peuvent être programmés pour répondre à un grand nombre de mécanismes de déclenchement.

18. Une technique prétend pouvoir détecter de la drogue par l'analyse d'une mèche de cheveux; une autre prétend déterminer, parmi six types de drogue, lequel et dans quelle quantité se trouve dans le « système/corps » de quelqu'un, en analysant le mouvement des yeux. On peut utiliser la technique « radio immuno- assay » pour extraire le résidu de drogue d’une mèche de cheveux. Comme les anneaux dans un tronc d'arbre, la distance de la racine donne aussi une preuve de temps. Comme l'a expliqué un partisan enthousiaste: « Ce qu'il y a de merveilleux dans la technique, c’est qu'on ne peut pas la diluer, il y a autant d'échantillons qu'on veut et, contrairement au spécimen d'urine, elle n'humilie pas le suspect. »

19. Voir par exemple Stinchcombe (1963) sur le rôle des barrières spatiales pour maintenir l'intimité (vie privée).

20. Le bloc de soins intensifs dans un hôpital fournit une image similaire. Sur un plan plus général, selon Erving Goffman (1961) la société devient « une institution toute entière ». Se servir d'une métaphore rallongée peut être un moyen utile de communiquer la présence de problèmes sociaux latents.

21. Parmi celles-ci se trouvent les systèmes pour situer le personnel et les véhicules (cloches à vaches pour flics). La surveillance audio et/ou visuelle de « police booking areas », la communication par téléphone et par radio, les tests pour la drogue et les polygraphes en sont d'autres exemples.

22. Il est intéressant de noter que les criminologues, qui sont les premiers à proposer des changements dans d'autres domaines, en général adoptent une position plus conservatrice lorsqu'il s'agit de ces problèmes critiques.

23. Il s'agit ici d'étendre la surveillance par ordinateur mentionnée dans la note 12.

24. Par exemple, les lasers ainsi que d'autres techniques pour récolter les empreintes digitales pourraient à la longue atteindre un taux de succès plus élevé, mais accompagné d'une plus grande dépense de ressources et d'une enquête sur les innocents dont les empreintes se trouveront parmi celles des coupables.

25. La source des limitations peut varier. Le « Computer matching » peut trouver des corrélations valables mais ne peut pas être plus juste que les données d'origine qu'il a récoltées et qui peuvent être déjà dépassées ou peuvent contenir des erreurs au départ. Les données qu'il utilise sont souvent assez brutes et hors de contexte. Des analyses chimiques qui peuvent identifier correctement les drogues se trouvant dans le corps de quelqu'un ne peuvent pas expliquer comment elles y sont arrivées. Ainsi, le THC peut se trouver dans le sang parce que la personne a fumé de la marijuana ou tout simplement parce qu'elle a été en contact avec d'autres qui la fumaient. Une telle analyse n'indique pas non plus si la drogue a été utilisée durant le travail ou en dehors. On peut également obtenir des résultats faussement positifs provenant de médicaments sous ordonnance.

Il s'agit ici de deux problèmes à part. Le premier concerne les questions de fiabilité, de validité, et d'une fausse impression de certitude. Les techniques sont loin d'être aussi puissantes que prétendent leurs défenseurs. Mais si elles l'étaient? Dans ce cas, est-ce que l'on pourrait justifier leur emploi sans discrimination? Comment serait la vie dans une société où l'on pourrait toujours savoir ce que pense quelqu'un, s'il dit la vérité, où il est allé et ce qu'il faisait?

26. Aux États-Unis, par exemple, les soutiens sociaux traditionnels censés travailler contre le totalitarisme sont puissants – un peuple instruit voué aux idéaux démocratiques, une gamme de chaînes indépendantes de communication de masse, une surabondance d'organismes de volontaires et les libertés civiles protégées par la constitution (Marx, 1984, 1986a).

Références:

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