L'agent provocateur et l'indicateur
Paru dans Sociologie du travail, 1973, No. 3, pp. 241-268. Traduit de l'anglais par Anne Autrand.

Feuille Principale  |  Notes

Par Gary T. Marx

Dans les mouvements sociaux, les groupes clandestins ont un rôle important et peu analysé pour d'évidentes raisons. Une des voies possibles, dans la meilleure tradition d'une sociologie l'observation du repérable, est de partir de l'interaction entre la police et les mouvements clandestin. L'auteur, examinant comment les indicateurs parviennent à s'infiltrer, quelles sont pour ce faire leurs motivations et les masques qu'ils prennent, produit à la fois des éléments de connaissance des mouvements clandestins et des modalités d'exercice de la contrainte socio-politique à leur endroit. L'une des belles questions soulevées est de se demander si le recours aux indicateurs stipendiés n'est pas la contrepartie inévitable du libéralisme politique de la société américaine.

Peter Berger [1] disait à des étudiants en sociologie : « La première précaution du sociologue est de se rappeler que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être ». Le conseil n'a pas été suffisamment pris au sérieux par les étudiants qui s'intéressent aux mouvements sociaux. Il semble en effet que les études sur le mouvement social ignorent presque complètement un des phénomènes les plus durables et les plus intéressants : la présence d'agents provocateurs et d'indicateurs dans les mouvements extrémistes et même dans les mouvements plus modérés.

La sociologie a beaucoup de choses à dire sur les conditions qui permettent la montée de ces mouvements sur leurs différents types sur leurs leaders et leurs militants. Pour cette dernière catégorie, on cherche à différencier les activistes en se posant plusieurs questions : leur contribution implique-t-elle des idées, un charisme ou un souci de réalisation ? Comment voient-ils les relations entre la fin et les moyens et quelle est la nature de cette fin ? Quel est leur niveau de conscience idéologique ? Quelle est la nature de leur engagement et de leur carrière dans le mouvement ? Appartiennent-ils au même groupe social qui cautionne le projet de changement ou bien sont-ils des éléments extérieurs qui se sentent socialement concernés ? On s'interroge également sur les nombreuses dimensions de leur personnalité telles que leurs soucis de statut, l'autoritarisme, le besoin d'accomplissement, l'altruisme, etc. Mais il n'existe ni concept, ni théorie, ni données recueillies sur un type important d'activistes : les agents provocateurs et les indicateurs. Ceux-ci ne font pas allégeance au mouvement ; ils cherchent à créer des dissensions internes, à recueillir des informations et/ou à induire le groupe à commettre des actions illégales qui justifieront ensuite la répression et susciteront la désapprobation de l'opinion publique.

L'absence d'intérêt sur ce problème mérite explication. Certains chercheurs hésitent à publier des analyses qui pourraient jeter l'ombre sur l'engagement idéologique de ceux pour lesquels ils ont de la sympathie. Concentrer l'attention sur les agents leur apparaît peut-être participer du même réductionnisme que certaines explications psychologiques cherchant la cause de l'activisme uniquement dans les pathologies individuelles, l'opportunisme ou les agitateurs étrangers. On peut ne pas vouloir dire que la contestation violente doit parfois plus aux activités d'un agent infiltré qu'à l'action autonome de gens opprimés qui s'insurgent contre leurs oppresseurs.

Mais ce sont peut-être les problèmes d'accès et de découverte qui représentent le plus grand obstacle à la recherche dans ce domaine. Il est en effet difficile d'étudier un phénomène, qui par nature doit rester secret. Certains exemples paraissent absolument incroyables. Un agent du FBI impliqué dans une attaque à la bombe, arrangée à l'avance, disait : « C'est fantastique. Ça rappelle 1984, le roman de G. Orwell ». La tendance qu'ont les chercheurs à étudier les mouvements sociaux dans la quiétude de leur bureau à partir de la littérature imprimée par l'organisation, d'études et d'articles de presse peut les empêcher de connaître l'interaction d'un mouvement avec son environnement et ils se laissent peut-être ainsi abuser. En revanche, le risque est moindre quand on utilise l'observation participante comme méthode de recherche. Il reste cependant difficile de recueillir des données dans un domaine aussi délicat. De la même façon que les prisons sont pleines de gens qui déclarent avoir été victimes d'un coup monté, les activistes arrêtés pour actions illégales en font porter la responsabilité aux agents provocateurs et se plaignent d'avoir été pris au piège [2]. La plupart des groupes contestataires condamnent systématiquement et en bloc la police et vont ainsi parfois jusqu'à s'exagérer les abus de celle-ci. L'atmosphère de conspiration qui règne dans beaucoup de groupes peut conduire à voir des agents partout. Certaines luttes internes dans les mouvements ont pour origine la tendance à voir dans chaque opposant un agent double [3]. Certains pensent trouver dans prétendus agents ces des boucs émissaires responsables des échecs, quand les leaders, la stratégie ou la tactique devraient plutôt are mis en cause. Rappelons-nous enfin les mots de Malcolm X à propos de ceux qui écrivaient sur les Black Muslims : « Ceux qui savaient quelque chose se taisaient, et ceux qui parlaient ne savaient rien ».

Il n'est pas nécessaire de tenir pour établis tous les cas rapportés pour admettre que souvent l'action des agents est à prendre en considération. On mentionne leur présence dans de nombreuses a-aires historiquement connues et dans des rapports du gouvernement rendus publics ; les preuves en sont les documents venant du FBI à Média en Pennsylvanie, la fierté qu'a le FBI de s'être introduit dans le Parti communiste, l'existence dans beaucoup de départements de la police américaine de « brigades rouges » dont l'origine remonte à l'époque de la peur des anarchistes et des activistes de gauche, les budgets de la police pour l'espionnage et les « fonds confidentiels » qui se sont étoffés de façon importante ces dernières années (dans certaines villes, il y aurait plus de policiers affectés à l'infiltration politique qu'à la prévention du crime organisé). Citons encore le matériel d'entraînement de la police, les archives des cours de justice, les enquêtes du Congrès et du Grand Jury, certaines déclarations publiques et les confessions des agents qui changent de bord et écrivent leur autobiographie ou encore le cas de ceux qui, comme Tommy the Traveller, ont été démasqués.

Nous ne prétendons pas que les agents jouent toujours des rôles importants dans les mouvements sociaux contestataires et violents et nous ne sommes pas en mesure d'attester l'exactitude intégrale dans le détail d'aucun des exemples auxquels nous nous référons mais la mise en parallèle de plusieurs affaires suggère des conclusions plus générales et des directions de recherche.

Quels sont les principaux types d'agents ? Dans quels contextes les trouve-t-on le plus souvent ? Quelles sont les conséquences de leur présence et à quoi tient-elle ? Comment arrivent-ils à s'infiltrer et comment construisent-ils leur fausse identité ? Comment et avec quelles conséquences sont-ils recrutés ? Quels stimulants et quelles sanctions sont utilisées pour « épingler » des membres déjà actifs du mouvement ? Quelles sortes d'individus sont attirés par un tel rôle ? Quelle est la nature de ce rôle ? Quelles sont les conditions pour qu'un indicateur devienne un agent provocateur et vice versa ?

La réponse à ces questions varie avec le type d'agent et le contexte. Pour faire la différenciation, il faudra déterminer si l'agent est un membre de la police assermenté ou un civil, et dans ce dernier cas, s'il travaille pour la police ou pour un groupe privé, s'il s'est infiltré dans le groupe ou s'il en était déjà membre quand il a commencé ses activités. On pourra également se demander quelles sont ses motivations (idéologie, pression de la police, rémunération, fins personnelles) et quelles sont les tactiques spécifiques qu'il utilise et les fins qu'il recherche. Par exemple, se contente-t-il de fournir le plus passivement possible de l'information ou a-t-il un rôle plus actif ? Dans ce dernier cas, agit-il simplement comme membre du groupe avec les autres activistes ou bien les pousse-t-il à commettre des actions illégales ? Dans ce cas, cherche-t-il à avoir des preuves utilisables lors d'un procès ou son action tend elle plutôt à encourager la méfiance et les dissensions à l'intérieur du groupe, à faire baisser l'image du mouvement dans l'opinion publique ?

La réponse à tant de questions représente un travail gigantesque qui nécessiterait peut-être la création d'un institut de recherche auprès du département de la Justice. Essayons malgré ces difficultés de dégager certains points préliminaires.

Facilités de pénétration

Un agent provocateur peut facilement entrer dans un mouvement et parvenir à une portion de leader : les mouvements, souvent peu populaires et utopiques et à petits effectifs, connaissent une grande mobilité ;   ils peuvent manquer de membres prêts à assumer tant les tâches de routine – lesquelles prennent beaucoup de temps – que les tâches dangereuses qui réclament de l'audace. Si l'agent possède les compétences nécessaires et dispose de ressources, son insertion sera facilitée.

L'idéologie et l'organisation de nombreux groupes du mouvement noir, du mouvement étudiant et du mouvement contre la guerre du Viet Nam rendirent également aisée l'entrée d'indicateurs malgré les précautions prises.

Les mouvements contestataires américains des années 60 n'étaient pas composés de groupes de révolutionnaires expérimentés ; ils ne se donnaient pas une organisation centralisée, ni même très fixe, et n'étaient pas très soudés ; ils n'élaboraient pas de conspirations criminelles. Au contraire, leur idéologie mettait l'accent sur des moyens d'action non violents, la réforme, la démocratie, l'ouverture. Anti-bureaucratiques, animés d'une foi optimiste dans les humains, prônant la tolérance, la vie en communauté, ils faisaient preuve d'une certaine naïveté à l'endroit de la surveillance gouvernementale. La plupart des groupes n'avaient rien à cacher et, comme les États-Unis n'ont guère de tradition de police politique, ils ne virent pas au commencement de raisons de se méfier. Beaucoup d'activistes furent véritablement surpris lorsque les premières affaires éclatèrent, car ils ne soupçonnaient pas que le gouvernement avait recours à ces moyens d'action.

Décentralisation, leadership incertain, faible définition des tâches, renouvellement rapide des membres, tout concourait pour que seule ou presque comptât la participation. On n'enquêtait pas sur les membres et on n'exigeait d'eux que peu d'activités militantes [4]. Les manifestations, meetings et marches auxquels n'importe qui pouvait participer, le caractère flou d'un mouvement social, la faible institutionnalisation de la lutte, tout cela allait de pair avec des changements constants de projets, des alliances précaires et des actions spontanées auxquels la surveillance par les moyens traditionnels des forces de l'ordre s'appliquait mal. Avec leur développement de la fin des années 60, les mouvements deviennent plus organisés et, ironie du sort, en partie à cause précisément de l'action des agents mêmes qui avaient pour mission la répression de la violence et la conspiration.

L'origine des agents

Les généralisations sont nécessairement quelque peu superficielles, néanmoins on peut dire que l'agent doit partager les caractéristiques du groupe contre lequel il travaille. Dans les années récentes, cela a signifié qu'il soit jeune et/ou appartienne à un groupe minoritaire. Plusieurs observations peuvent s'appuyer sur plus de vingt cas rendus publics, bien que ce soit là un échantillon certainement insuffisant.

Il est facile d'évoquer les images de marque du super-espion, policier de haute compétence qui combat des dragons domestiques ; il semble d'ailleurs que le FBI aime assez cette apparence. Étant donné le caractère local et décentralisé de la plupart des services de police américains, la relative ouverture de la société américaine et l'absence d'une tradition de police politique, l'infiltration dans les mouvements extrémistes a en général été laissée au travail d'amateur. Dans la plupart des cas, ce sont plutôt des civils qui sont utilisés comme indicateurs que des policiers assermentés [5]. Non seulement ils coûtent moins cher et permettent un plus large champ de manœuvre, mais encore le degré relativement élevé d'homogénéité d'origine de la police obligeait à recourir à des agents qui partagent les caractéristiques du groupe où ils doivent s'infiltrer.

Peu de groupes contestataires sont composés de blancs, diplômés, ayant dépassé la trentaine, de religion chrétienne, du sexe masculin, nés américains, menant une existence conformiste, tous éléments qui caractérisent les bons policiers. Quand on a utilisé la police régulière, ce furent en général de jeunes recrues. De tels agents ont moins de chances d'être reconnus et leur jeunesse leur facilite l'entrée [6]. Ces caractères liés que sont la classe sociale et l'expérience des membres ont probablement plus facilité l'infiltration de la police dans le mouvement syndical, les groupes de droite, et les groupes noirs tels que les « Muslims » et les « Panthers » au statut plus bas, que dans la « Nouvelle Gauche » qui drainait des étudiants et des membres de l'intelligentsia. Il semble que les autorités ont eu moins de succès pour trouver les responsables de la violence dans les groupes blancs du type Weatherman que parmi les groupes noirs extrémistes de droite.

Parfois la construction de la couverture est faite très scrupuleusement. Ainsi dans l'affaire de la statue de la Liberté, l'informateur avait au préalable été arrêté, reconnu coupable et condamné à une amende, mais le plus souvent, l'agent se met en avant, propose des projets audacieux, fabule sur son passé militant, se décrit comme une victime du système; il offre des moyens de se procurer des armes, etc ..., donne des leçons d'utilisation des explosifs, enseigne l'auto-défense et assume loyalement les tâches de routine. Le risque pour un agent de police assermenté d'être démasqué ou de se trahir par ses histoires montées de toutes pièces peut être minimisé par les tactiques utilisées par le Service Secret de la ville de New York. On peut confer à deux nouvelles recrues des missions clandestines avant même qu'ils n'aillent à l'académie de police et ils peuvent utiliser leurs propres noms et biographies autant qu'ils le veulent. Des événements qui furent à l'origine de l'indignation des activistes et contribuèrent à la radicalisation des personnes antérieurement non engagées, peuvent servir de prétextes à l'indicateur pour entrer dans le mouvement. Un homme de Seattle raconte comment il se fit passer pour « radical » pendant l'évasion de Cambodia et les tueries de Kent State. Son discours soudainement violent, la divulgation par lui de formules d'explosifs parurent à cette époque moins sujets à caution qu'à un autre moment.

Le recours à des indicateurs privés est le plus souvent le fait du FBI et plus rarement de la police d'État ou des shérifs du comté et, tout à fait exceptionnellement, d'une police locale. Le FBI ayant une organisation plus efficace, un personnel hautement qualifié, des directives et un contrôle centraux, un champ d'action national, une conception du métier mettant l'accent sur la nécessité d'une bonne information, de gros crédits pour les indicateurs et une conscience de sa mission politique, il n'y a rien là qui surprenne [7]. Le FBI n'infiltre que rarement ses propres agents assermentés. L'inverse est vrai des polices locales (et pour ce qui est des affaires rendues publiques, habituellement à New York, Chicago ou Los Angeles, villes qui possèdent des unités de police portique bien développées).

On ne trouve rien qui rappelle l'entraînement très élaboré des espions du temps de guerre. L'enjeu n'est pas aussi important ; l'infiltration se fait dans un milieu américain et les contacts avec les autorités sont plus faciles que dans un pays étranger. En pays étranger, une multitude de détails peuvent trahir un agent (marques de blanchisseries, boutons cousus du mauvais côté, la façon de tenir sa fourchette, etc.) [8]. Cependant, même dans son pays, il doit utiliser des artifices et être prudent.

Un pourcentage appréciable de civils ont été indicateurs politiques et indicateurs criminels, soit simultanément, soit successivement, en particulier dans le mouvement noir. En fait, la contestation politique qui est légale et les drogues qui sont illégales procèdent de la même culture de la jeunesse : certains groupes comme les Panthers ou les Black Muslims cherchaient à recruter parmi les gens d'origine modeste et ayant un passé criminel ; certaines actions frôlèrent d'ailleurs les limites du crime, ou tout au moins réclamaient des compétences propres au monde hors la loi. Lorsque la frontière entre le crime et la contestation devint floue, vers 1965, avec l'apparition des émeutes noires, les sit-in d'étudiants et les groupes tels que le Weatherman, la police qui avait déjà des images, un discours et des procédés pour les cas criminels (spécialement ceux où l'État est le plaignant et non un individu) les appliqua aussi aux cas politiques. La rhétorique de la Guerre Froide qui liait, à partir de 1960, la politique et le crime (cf. les références de J. Edgar Hoover au « monde communiste souterrain ») a également poussé la police à agir.

La méthode du FBI était d'encourager les indicateurs entraînés au monde du crime à changer de spécialité pour s'occuper de la contestation raciale [9].

Lorsque la police locale utilisa des agents sur les campus universitaires comme ce fut le cas de Tommy the Traveller et de Charles Grim à l'Université de l'Alabama, le même agent s'occupait à la fois de la drogue et de la politique. Il est difficile de dire si l'agent plus spécialisé dans la politique utilise ses activités politiques extrémistes comme couverture pour la détection du trafic de la drogue, ou s'il s'occupe des deux parallèlement. Certains agents étaient payés à la fois par la police locale pour s'occuper des narcotiques et par le FBI pour la politique [10]. Dans les deux cas, une activité de couverture était nécessaire. Dans certains cas où il était impossible d'avoir un homme pour la politique, on se contentait de celui de la drogue [11].

Bien que des acteurs professionnels puissent avoir pu être parfaits pour ce genre de rôles, on ne trouve mention d'aucun dans les affaires rendues publiques. Cependant, le prisonnier impliqué dans l'affaire Berrigan a été arrêté parce qu'il s'était fait passer pour un officier. Pierre La Fitte, connu dans les années 50 comme mystificateur, s'était infiltré dans un réseau de narcotiques.

Dans certains cas (ex. Columbia et Sunny Buffalo), les policiers qui se sont infiltrés dans les mouvements étudiants étaient des étudiants inscrits à l'université. Cela n'attirait pas l'attention à cause des programmes spéciaux et des facilités de formation permanente dont bénéficie la police.

Comme les États-Unis ont une académie spécialisée dans la formation de la police des pays qui développent l'anti-communisme, beaucoup d'américains qui avaient acquis leur expérience dans la sécurité extérieure et la Guerre froide sont revenus sur le front intérieur : James Jerret, policier à Los Angeles, qui déposa une boîte de grenades à main au domicile de deux activistes juste avant que ceux-ci ne soient arrêtés pour possession de grenades, avait à son actif une expérience dans la CIA en Indochine, en Afrique et en Amérique latine. Le père de Tommy the Traveller passe pour avoir travaillé pour la CIA. Un indicateur civil de Seattle venait du contre-espionnage [12].

Les motivations

Des civils sont indicateurs pour de multiples raisons et ont des passés différents. Certains sont des Américains moyens, d'autres à la recherche d'un statut civil avec des motivations patriotiques ; d'autres viennent des milieux criminels urbains et sont intéressés par les récompenses de différentes natures.

D'autres encore semblent être des membres typiques des groupes sur lesquels ils donnent des renseignements (Ku Klux Klan ou SDS) qui subissent des pressions de la police pour jouer ce rôle ou qui, pour des raisons variées ont été déçus par leur groupe. Plus sévèrement décrits par un manuel de police d'autres seraient des « déments, des excentriques, des êtres nuisibles » [13].

Pour certains individus, la délation est un devoir patriotique et leurs motivations semblent largement idéologiques – aider les bons types à combattre les mauvais. La littérature de la police accorde une bonne place à ceux qui livrent des renseignements par « devoir civique » et suppose que c'est la motivation la plus courante dans les affaires criminelles. La « jeunesse américaine pour la liberté », groupe étudiant de droite, s'infiltre dans la gauche avec d'autant plus d'ardeur qu'elle compte des membres exilés des pays de l'Est. Des membres racistes du KKK se sont infiltrés dans des organisations luttant pour l'égalité des droits. De même, des groupes de gauche essaient d'entrer dans des groupes rivaux.

L'insécurité de statut, qui a été longtemps considérée comme un facteur d'incitation à l'extrémisme, peut également pousser à la délation, au patriotisme exacerbé, au conformisme comme moyen d'accès vers les groupes dominants. Par exemple, alors qu'il était bien connu que les Juifs étaient très nombreux dans les groupes révolutionnaires en Russie, il est probable qu'ils abondaient aussi dans la police secrète. Ceci semble se vérifier pour plusieurs affaires contemporaines, comme celle de Tommy the Traveller qui est à moitié Thaï et celles de quelques nouveaux Américains originaires de pays communistes [14].

Ceux qui ont des motivations idéologiques ou personnelles ont plutôt tendance à aller offrir d'eux-mêmes leurs services bénévoles à la police. Ceux que la police « enrôle » sont, au contraire, des stipendiés : la police marchande l'infiltration avec ce qu'elle peut monnayer – immunité contre des poursuites judiciaires, argent, libération, aide pour naturalisation ou pour résoudre des problèmes avec les autorités administratives [15].

Dans l'affaire du Meriden (explosion à la bombe au Mississipi faite par le KLAN) la peur de la police a été plus déterminante que l'argent : un détective assure « un des indicateurs croyait que nous allions le tuer. Nous l'avons aidé à le croire. Nous avons fait comme si nous allions le faire [16] ».

Charles Grim, qui avoua avoir jeté des bombes incendiaires et mis le feu à des bâtiments de l'université de l'Alabama, raconte comment des déboires avec la police le conduisirent à être recruté comme agent et rappelle ce que lui dit un détective : « Je vais te mettre en prison si tu refuses de coopérer avec nous, et comme j'ai peur de la prison, j'ai décidé, bon, qu'il fallait mieux coopérer. Ils me tenaient à la gorge et ils le savaient ... ce n'était pas tellement l'argent ; c'était plutôt que si je ne marchais pas, ils m'épingleraient » [17].

On peut se rendre compte de l'importance des pressions de la police dans un bulletin des agents réguliers du FBI qui suggère que certains activistes « seront impressionnés par la personnalité écrasante de l'agent avec lequel ils sont en contact et leur diront tout – et peut-être pendant longtemps » [18].

Si l'on se réfère au roman de Lian O'Flaherty L'indicateur, Gypo Nolan informe parce qu'il a des problèmes d'argent.

L'indicateur dans le complot contre Caesar Chavez était au chômage quand il fit ses offres de service au shérif du comté de Kern, qui le mit ensuite en contact avec le Bureau fédéral des Narcotiques. Il y a probablement de grands écarts dans les sommes payées aux indicateurs : cela dépend de l'importance de l'affaire, de l'instance intéressée, de la crédibilité de l'indicateur. A l'exclusion des affaires de narcotiques, au niveau local, les indicateurs reçoivent souvent des sommes insignifiantes [19]. L'indicateur dans l'affaire de Camden recevait 60 dollars par jour du FBI, c'est-à-dire le salaire qu'il gagnerait normalement dans le bâtiment. Si un agent du FBI souhaite donner une somme globale ou un paiement mensuel de plus de 300 dollars à un indicateur, il doit avoir l'autorisation des instances supérieures et c'est pourquoi il préfère des paiements de routine moins importants [20]. Traditionnellement, les agences fédérales ont des fonds pour payer les indicateurs tandis que la police locale n'en a guère.

Dans d'autres cas, les raisons sont plus personnelles – venger une perte, essayer de changer la voie qu'un groupe est en train de suivre, rivalités de commandement, compétition entre les groupes, culpabilité à l'égard d'un passé militant et changement de convictions politiques, ou éviter des ennuis à un groupe ou individu cher. Dans l'affaire de Camden, New Jersey, l'indicateur, qui a depuis renié ses activités passées et s'est plaint que le FBI avait rompu son engagement avec lui, décrivait le groupe « comme le plus agréable groupe de chrétiens qu'il lui ait été donné de fréquenter » [21]. Il déclare qu'il ne voulait pas que des membres du groupe qui étaient parmi ses meilleurs amis soient compromis dans des actions illégales. Certains individus peuvent se culpabiliser à propos de leurs activités passées et voir dans la coopération avec les autorités une façon de se racheter vis-à-vis de la société. Ou, pressentant la débâcle d'un mouvement, ils préfèrent coopérer avec les autorités dans l'espoir d'être mieux traités après la faillite. Pour d'autres indicateurs, il peut s'agir d'un goût pour l'intrigue.

Les agents qui passent à l'adversaire

Pour être crédible, l'agent doit normalement partager la classe, l'âge, l'ethnicité, la race, la religion ou le statut sexuel du groupe sur lequel il/elle donne des informations. Cependant, pour les mêmes raisons, l'agent peut être amené à comprendre et même accepter la colère, la critique, les buts du groupe. Il peut découvrir que le point de vue du gouvernement est erroné et trouver discutables les moyens employés pour traiter le groupe. Le retournement, ou tout au moins le retrait par rapport au rôle initial, est encouragé par le fait que le rôle d'agent implique une violation de normes assez universelles, la trahison et la tromperie de ses amis. Pour être efficace, l'agent doit être un membre en qui le groupe a confiance. Cependant, plus on a confiance en lui, plus il peut se sentir mal à l'aise dans l'emploi quotidien de la trahison et de la tromperie. La familiarité peut engendrer aussi bien la sympathie que le mépris, particulièrement dans la mesure où l'agent est coupé de son entourage familier et de ses amis et se retrouve plongé dans une nouvelle vie. Il peut éprouver des sentiments contradictoires, se culpabiliser, devenir ainsi inefficace dans son rôle d'agent et finalement adhérer au mouvement qu'il avait d'abord l'intention de dénoncer. C'est le cas inverse de celui où l'activiste devient agent – mais le processus est de même nature : retrait de l'allégeance antérieure, changement dans la vision de soi-même et réinterprétation de son passé. Parmi les exemples historiques, celui du Père Gapone, agent de la police et figure-clé de la révolution russe de 1905 qui devint extrémiste et celui de Roman Malinovski qui se convertit ouvertement au bolchevisme (et quoiqu'il dût être fusillé après la révolution, Lénine lui serra la main). Ce fut aussi le cas d'agents issus de la classe ouvrière qui s'infiltrèrent dans le mouvement syndical vers les années 30, plus récemment ce fut celui de plusieurs agents et indicateurs idéalistes qui ont conclu que les groupes, dans lesquels ils avaient été chargés de s'infiltrer, ne représentaient pas une menace sérieuse et que le FBI, par ses actions, créait une bonne partie des dangers qu'il se faisait gloire de contrôler. Les actions commandées par les autorités peuvent choquer le moraliste et le patriote naïf. Un étudiant qui travaillait pour L'HUAC et s'est infiltré ensuite dans le SDS, fut séduit par la culture jeune dont son origine rurale l'avait tenu à l'écart et devint un sympathisant du SDS ; un autre cherchait à aider le FBI à stopper les attentats à la bombe alors que le FBI l'avait auparavant chargé d'organiser des attentats à la bombe.

Dans d'autres cas, comme ceux de Camden et du Chicano Moratorium Committee, l'indicateur s'aigrit et est déçu quand les autorités rompent leurs engagements. Un agent noir qui fit surface à Los Angeles (et espère faire un film et écrire un livre de ses expériences) a déclara se sentir coupable et avoir été inspiré dans son retournement par la publication des documents du Pentagone.

Il y a aussi, bien sûr, les agents doubles. Ils peuvent chercher seulement leur propre intérêt personnel ou voir dans la coopération avec les autorités un moyen d'aider le mouvement en donnant des informations fausses, en obtenant des renseignements sur les intentions des autorités, et en gagnant une protection pour leurs propres activités extrémistes [22]. Parmi les cas de ce type, celui du Russe Assef semble le plus intéressant [23].

Réussir par excès de zèle

La tendance qu'a l'agent à perdre la foi et à se laisser retourner est peut-être moins fréquente que l'inverse : l'excès de zèle avec dépassement des limites de la mission, laquelle est bien sûr variable et souvent n'est pas très claire, du moins formellement... Alors que parfois il est explicitement prescrit à certains agents de tendre des pièges, de fournir des rapports qui justifient la répression, de fomenter la division à l'intérieur d'un mouvement, etc ..., les contraintes d'une société démocratique impliquent que les autorités n'attendent pas des indicateur plus qu'un rôle passif de collecteur d'information. Mais il est cependant important de se demander si, selon l'expression du FBI, les indicateurs ne se laissent pas « entraîner » [24]. Aussi faut-il considérer la nature du rôle et qui sont ceux qui le tiennent.

Tout d'abord, ceux qu'attire un tel rôle peuvent être des personnalités plutôt équivoques. Le goût de faire un travail qui demande de tromper des activistes en se faisant passer pour leur ami peut ne pas être exclusif, tout au contraire de celui de tromper également ceux qui les emploient, surtout s'il se trouve des stimulants économiques à la clé.

L'agent peut percevoir son emploi comme tributaire de la fourniture de renseignements qui présentent bien le groupe comme une menace et ses activités comme sur le point de passer dans l'illégalité. L'emploi de stimulants économiques a été à son point culminant pendant les années 30, alors que l'espionnage des syndicats, etc., était une affaire estimée à 80 000 000 de dollars par an. Témoignant devant la Commission La Follette, un sénateur américain qui avait tenu les fonctions du Ministère public dans certaines de ces affaires déclarait : « J'avais l'impression que les espions industriels allaient former un syndicat et essayeraient de pousser les syndicalistes honnêtes à commettre quelque crime terroriste : faire sauter un transformateur, dynamiter un immeuble, mettre le feu à des mines... tout simplement dans le but de créer des emplois pour l'organisation des espions... Les juristes et membres de la compagnie auraient si peur qu'ils seraient obligés d'employer des effectifs importants pour surveiller ces individus « dangereux » » [25].

On a moins de problèmes de ce genre lorsqu'on a recours à du personnel de police assermenté agissant comme agents clandestins. Ils ont un emploi permanent et sont plus directement comptables de leurs actes devant leurs supérieurs. Cependant, là aussi ; l'envie de décorations ou de promotions peut pousser à amplifier l'importance du danger pour permettre un « beau coup de filet ». Le jeune policier new-yorkais qui s'était infiltré dans un groupe que l'on soupçonnait de vouloir faire sauter la Statue de la Liberté fut promu et décoré à la suite de la conclusion heureuse de l'affaire et ce n'est pas un cas unique.

L'information erronée sur les groupes risque d'autant plus d'apparaître que l'agent s'implique avec des motivations à la fois personnelles et/ou idéologiques. Les exilés des pays communistes en sont un bon exemple. Là, l'agent n'a pas besoin de preuve, il sait la menace que représente ou représenterait le groupe si l'occasion se présentait réellement ; quand bien même rien n'a encore été commis. Il peut ainsi se sentir la conscience tranquille quand il les encourage à avoir réellement recours à l'action violente ou quand il rapporte des informations fausses. Il peut penser que le groupe représente un tel danger que tous les moyens sont bons (même mentir à ses supérieurs) pour le neutraliser. Un sentiment de culpabilité ou d'insécurité à l'égard du rôle qu'il joue peut aussi être un stimulant puissant pour la « découverte » de la preuve qui servira à justifier son rôle.

Une tendance à prendre ses désirs pour des réalités, une expérience limitée et une perception sélective peuvent conduire l'agent à prendre au sérieux les estimations exagérées du pouvoir et de l'attraction qu'un groupe donne de lui-même et à confondre un discours vaguement révolutionnaire avec des plans précis. Ni les fonctions d'un tel discours ni l'élément de violence qui caractérise certains groupes opprimés et privés de pouvoir ne peuvent être précisément appréciés [26].

La tromperie est aussi le résultat du secret dans lequel opère l'agent [27]. Le secret lui donne un avantage sur son employeur qui peut difficilement évaluer l'exactitude de l'information obtenue (sauf s'il a plusieurs agents dans le même mouvement). Cependant, il est peut-être vrai, comme le suggère le manuel de l'administration de la police, que « certaines activités de la police se déroulent mieux dans un climat de discrétion, mis à l'écart de la publicité et de la routine dont relèvent d'autres aspects du maintien de l'ordre [28] ». Comme dans toute activité menée en secret, d'importants problèmes de crédibilité se posent.

Dans des cas extrêmes, les conséquences peuvent être néfastes pour les autorités. Ainsi, Assef, espion de la police russe d'origine juive fit réussir l'assassinat de Plehve, ministre de l'Intérieur qui l'avait initialement engagé comme espion. L'assassinat fut présenté comme le résultat de la responsabilité de Plehve dans une vague d'anti-sémitisme. Assef, bien entendu, se couvrit dans les rapports qu'il remit à la police pendant 15 ans.

L'agent infiltré peut trouver des moyens de se divertir en jouant les extrémistes tout en évitant les risques. Il peut encourager des actions violentes qui ont peu de chances d'être commises par des activistes plus prudents et qui craignent d'être arrêtés. Il peut se défouler avec le mouvement, extérioriser des émotions qu'il peut ressentir fort sincèrement en tant qu'issu d'une communauté défavorisée ou manifester des sentiments d'agressivité et être cependant protégé. Pour certains, ce peut être le meilleur de deux mondes. Comme l'observe Frank Donner : « la connaissance secrète de celui qui s'infiltre qu'il est le seul dans le groupe à être à l'abri de toute la responsabilité de ses actes, fait disparaître toute limite à son zèle » [29].

Le FBI demande à ses indicateurs des choses impossibles quand il leur dit « qu'ils devraient être au courant de tout ce qui se trame et qu'ils devraient réserver le meilleur de leur compétence pour le contrôle de la nouvelle gauche ». Mais en même temps, il les avertit « de n'être en aucun cas celui qui porte le fusil lance les bombes, commet les vols ou qui, par un acte manifeste particulièrement violent, se révèle un participant profondément engagé » [30]. Mais même si l'agent désire suivre ces directives, il n'échappe pas au dilemme posé par le fait que crédibilité et accès se gagnent par l'activisme. Dans ce cas, la demande est contradictoire et le rôle est instable. L'agent doit souvent choisir entre un rôle passif périphérique qui lui donne peu de renseignements et d'influence et un rôle plus actif qui lui fournira plus d'informations et la possibilité d'influer sur les résultats, mais avec les difficultés possibles d'accusation de complicité et d'arrestation [31].

La littérature de la police accorde peu de place aux suggestions pratiques à l'usage de l'indicateur, si ce n'est de ne pas se lier aux femmes et en général d'éviter toutes relations sentimentales. Elle prête plus d'attention à des conseils de maniement des indicateurs civils. Il n'est pas surprenant de trouver un mémoire du FBI établissant : « le mot-clé pour les indicateurs, en ce qui concerne la surveillance, est « contrôle » [32]. Le manuel de base, Municipal Police Administration, note : « l'indicateur qui n'appartient pas à la police doit être l'objet d'une stricte surveillance » et ajoute « que l'information qu'il donne est souvent douteuse [33] ». Un autre observateur de la police suggère qu'il faut que l'indicateur cherche constamment à déterminer ses motivations « variées et complexes » et ajoute qu'un échec dans ce genre d'exercice conduit invariablement « au désastre, ou tout au moins à une situation délicate » [34].

Parce que l'indicateur peut mentir, exagérer, mal percevoir, évaluer improprement, mal comprendre ses rapports avec la police, user d'artifices ou être un agent double, on demande à la police d'être vigilante. Il faut donc d'autres agents dans la même opération – dont l'identité est gardée secrète – une surveillance électronique de l'agent comme de l'activiste, une vérification minutieuse ; pour l'infiltration, des policiers sont plus sûrs que des civils et, pour le contrôle de l'agent, la responsabilité organisationnelle vaut mieux que la responsabilité individuelle.

Si dans les affaires criminelles ordinaires (à l'exclusion du crime organisé), l'indicateur est la propriété d'un seul officier de police, des supérieurs de qui son identité n'est souvent pas connue, les indicateurs des affaires politiques sont en revanche plus sûrement contrôlés de façon centrale par l'organisation. On suppose qu'il y a là garantie d'une certaine sécurité. La littérature policière récente se pose de plus en plus la question : « qui doit contrôler l'indicateur » ? Bien que constatant que seul l'enquêteur qui contrôle l'informateur protège la sécurité de ce dernier et permet à l'organisation de nier toute connaissance officielle de transactions illégales qui peuvent avoir lieu entre l'indicateur et le policier, elle insiste cependant sur le fait que le contrôle central des indicateurs est décisif pour éviter les problèmes habituels.

Pourtant, si l'on considère ceux qui sont sur le terrain plutôt que ceux qui rédigent les manuels, le contrôle apparaît moins important. Étant donné les pressions bureaucratiques pour avoir une certaine quantité d'arrestations ou d'informations, la qualité de ces dernières n'est pas le grand souci de l'agent de police qui les recueille en premier lieu. Les agents du FBI doivent remplir des quotas d'informations en fonction du nombre de leurs indicateurs. Il doit être suffisamment difficile de trouver un nombre voulu d'indicateurs pour les divers mouvements, sans, en plus, avoir à vérifier leur crédibilité. Quand les taux de production exigés sont trop élevés pour les moyens du bord, des expédients et un intérêt réduit pour la qualité peuvent apparaître [35]. Les indicateurs peuvent être considérés comme une sorte d'assurance qui vaut largement par le renseignement important qu'ils apportent de temps en temps le prix à payer pour le traitement des informations mauvaises ou inutiles. Ainsi, dans les affaires politiques, lorsqu'un officier de police reçoit une information sur la nature supposée violente et subversive d'un groupe qui correspond avec les idées préétablies qu'il avait sur le dit groupe, il ne remet probablement pas en cause la véracité de l'information [36]. Puisqu'enfin les agents ne sont pas toujours utilisés aux seules fins d'obtenir des renseignements, la qualité de l'information fournie peut être de faible importance.

Percées à jour et révélations

Les agents en viennent à se démasquer de différentes façons : comme témoin à charge dans un procès ou quand ils se croient obligés d'avertir publiquement des dangers que représente le mouvement, lors de rafles ou juste après quand on se demande pourquoi ils n'ont pas été inculpés ou arrêtés, ou qu'ils sont libérés sans caution ; certains changent de bord ou tout au moins sont assez mal à l'aise vis-à-vis de leur rôle passé pour avoir un irrépressible besoin d'en parler ; ils peuvent également être reconnus par quelqu'un qui connaît leur appartenance à la police ou leurs liens avec elle ; enfin ils peuvent se trahir par une maladresse ou être dénoncés par un ancien allié.

Quand on interroge les autorités sur leur recours à des agents, elles répondent de différentes façons. Elles peuvent tout simplement nier, refuser tout commentaire parce qu'une instruction est en cours et que des secrets pourraient être révélés, leur tactique est alors d'accuser les activistes de dénigrer la police pour couvrir leurs propres actions criminelles. Quand elles concèdent que des agents de la police jouèrent effectivement un rôle, elles arguent que c'était parfaitement légal, que les bonnes pratiques policières nécessitent le recours à de tels agents ou que les actions illégales des agents étaient nécessaires pour avoir l'accès et la confiance afin d'éviter d'autres graves délits ou de tirer au clair des affaires anciennes. Moins officiellement, la police peut avancer que l'adversaire ne joue pas franc jeu non plus ; la gravité de la menace engendrée par des groupes dissidents peut être assez mise en avant pour justifier tous les moyens et on fait remarquer que ceux qui ont été arrêtés étaient réellement coupables d'autres crimes graves, même s'ils n'ont été arrêtés que grâce à un coup monté.

Une fois démasqué, l'agent peut être caché, mis en prison pour le protéger, expédié à l'autre bout du pays, ou se voir donner un pécule pour reconversion.

La découverte d'un agent peut provoquer des attaques contre lui, son expulsion, une tapageuse publicité donnée à son identité ; on fera des efforts pour en faire un agent double et chercher des arrêts judiciaires contre sa présence.

Certains activistes refusent de croire qu'un de leurs camarades en qui ils avaient confiance les ait trahis volontairement. D'autres n'y croiront pas non plus, mais pour une autre raison. Pour eux, la découverte d'un agent sera perçue comme un stratagème gouvernemental [37].

Si l'utilisation de la police régulière peut accroître la crédibilité et la confiance, encore faut-il tenir compte des limitations propres au système décentralisé de justice et de la police. L'agent clandestin peut être reconnu et si c'est hors du ressort de la juridiction qui l'emploie, il n'a aucune autorité. Une fois la vague d'arrestations effectuées et qu'il a témoigné devant la cour, son identité est bien proche d'être révélée. Dans les affaires de drogue par exemple, la « durée de vie » moyenne d'un agent clandestin est de quatre à cinq mois ; passé ce délai, ils se grillent et sont identifiés. Ceci a incité la force tactique de trois États à mettre sur pied une législation qui permettrait à ses membres d'échanger des agents clandestins [38]. Enfin si les périodes d'activité sont si brèves, il faut aussi faire la part de l'ennui, du risque et d'un certain sentiment de culpabilité – du moins pour ceux qui ne sont pas fonctionnaires de police.

Défenses et réactions des mouvements

L'attention que les mouvements portent au problème de l'espionnage est fonction de ce qu'ils ont d'important à cacher et de l'ampleur de l'activité déployée contre eux. Les réactions vont de l'absence totale de souci jusqu'à l'utilisation des techniques de sécurité rigides et à la suspicion pathologique à l'encontre de chacun. Des organisations mettent en place leur propre système d'espionnage et d'inspection interne pour s'assurer de la loyauté de leurs membres, éprouver les nouvelles recrues et s'infiltrer dans les services qui les infiltrent. La plupart des groupes américains manquent de ressources et de volonté pour ce faire. Il arriva qu'on demande aux recrues de commettre un acte illégal pour s'assurer de leur loyauté et les compromettre. Le recours à des pseudonymes est fréquent et seule une petite partie de l'organisation est connue d'un membre grâce à un système de cellules pyramidales. Les cadres se rencontrent secrètement et décident de la stratégie, tandis que le groupe continue à tenir de grands meetings pour détourner l'attention des indicateurs. Le problème se pose avec tant d'acuité aux Black Panthers que pendant la période où ils étaient l'objet d'une surveillance maximum, ils cessèrent d'accepter de nouveaux membres [39].

D'autres tactiques de bon sens sont de limiter l'utilisation des téléphones privés, d'éviter de commettre des infractions à la législation (sur la drogue, la circulation, les impôts, etc.). Les syndicalistes militants apprennent à « adopter la tactique de l'espion qui garde ses yeux et ses oreilles ouverts », mais aussi « sa bouche fermée » et « qui ne parle pas trop –spécialement au type qui en demande trop ». Ils prennent l'habitude de se méfier de ceux qui veulent provoquer des dissensions internes. On leur recommande également « d'être sûrs avant d'accuser » [40].

Certains activistes privilégieront les mêmes lignes d'action que les agents, mais n'auront pas la même appréciation des conséquences. Les autorités verront dans les projets audacieux un moyen de stigmatiser puis de réprimer légalement le mouvement. En revanche, l'activiste verra les actes de violence comme susceptibles de favoriser la prise de conscience des masses. La répression peut être accueillie comme un moyen de radicalisation des masses. Alors le problème des agents perd de sa gravité. Trotsky pensait que les agents contribuaient plus à la prospérité des mouvements qu'ils ne les réprimaient, précisément parce qu'ils pouvaient tout se permettre.

Étant donné la dynamique des mouvements sociaux, il semble bien que la tactique de la provocation soit pour les tenants du statu quo plus qu'hasardeuse. Dans un climat de mécontentement intense - comme dans la Russie du début du XXe siècle – une telle pratique peut se retourner contre ses auteurs [41]. Les conséquences stratégiques des actions peuvent se révéler avoir été calculées plus exactement par les groupes radicaux que par les autorités. Certains mouvements peuvent gagner à exploiter événements dramatiques et martyrs. La répression qu'a subie un groupe peut engendrer la sympathie et populariser sa cause. Démasquer le rôle d'un agent provocateur peut entraîner pour après une baisse de la légitimité du gouvernement.

Quelques implications

On a jusqu'ici considéré l'agent comme acteur isolé. Cependant, certains éléments s'appliquent aux organisations de police dans leur ensemble. Comme toute organisation bureaucratique, la police a le souci de se perpétuer, de justifier son existence. La composition intra-organisationnelle ou la volonté d'un service de maintenir ou d'augmenter les crédits et son influence peuvent amener à des comportements qui créent la menace pour pouvoir se faire gloire de la contrôler. Ainsi on exagère le danger que représente les groupes dissidents (cf. l'action du FBI contre le Parti communiste) ou la drogue (cf. les lois contre la marijuana dues à des lobbies du Bureau des Narcotiques) [42].

Comme Kai Erikson l'a dit dans The Wayward Puritans, le degré de déviance « trouvé » dans une société suppose une relation avec le nombre de fonctionnaires dont le travail consiste précisément à le trouver. Ainsi, à une certaine époque, en Amérique, on aimait bien les procès de sorcelleries et on les menait rondement, ainsi trouvait-on de plus en plus de « sorcières ». La définition que se donne une société de la maladie mentale dépend en partie des facilités dont on dispose pour y remédier. Plus il y aura de lits dans les hôpitaux, plus il y aura de personnel compétent, plus les cas de maladie mentale susceptibles d'être dépistés feront l'objet d'une attention particulière. De la même façon, la corrélation positive souvent trouvée entre le nombre de policiers dans une communauté le nombre de délits n'autorise pas l'interprétation à sens unique selon laquelle une augmentation des délits conduit à une augmentation des effectifs de la police. L'étude du « crime » politique devrait être utilement reprise à partir des perspectives courantes sur la déviance.

Quand une société se sent de plus en plus menacée par des groupes dissidents – peut-être aidée en cela par les cris d'alarmes de la police [43] – elle développe son appareil de contrôle social et ainsi aide à la naissance d'une nouvelle dissidence et de la violence [44]. Des actes, qui jusqu'alors étaient tolérés, ne le sont plus (rassemblements spontanés dans certains quartiers de la ville, présence dans les rues la nuit, meetings et marches, achat d'armes et de munitions, etc.). La tolérance de la société diminue et de nouvelles lois sont promulguées (en France, la loi anti-casseur qui peut rendre responsable toute personne présente sur les lieux d'une émeute des dégâts qui ont été commis). On peut en tirer l'impression d'une augmentation des activités contestataires, quand il y a eu seulement déplacement des limites des comportements considérés comme légitimes. De nouvelles actions contestataires peuvent se développer à cause de et contre la nouvelle restriction. Le département de la police en son entier et la proportion de ses effectifs chargés des problèmes d'ordre public peuvent tous deux être augmentés. Entre 1969 et 1970 la division des renseignements généraux du département de police de Los Angeles doubla et à New York elle augmenta de 50 % entre 1968 et 1971. De nombreuses villes ont mis sur pied des unités tactiques spéciales contre les manifestations. En 1970 le FBI s'est accru de 1000 nouveaux agents et 702 nouveaux auxiliaires. Le changement des définitions et l'accroissement des effectifs de police luttant contre les groupes dissidents auront pour effet de les faire sentir plus concernés. Une surveillance accrue peut également provoquer de nouvelles violences et une réaction de la part du groupe en question ou de la police et la constitution de groupes de vigilance par des citoyens apeurés. Dans un milieu où les autorités et ceux qui cherchent à occuper une fonction politique exploitent la loi et le thème de l'ordre et confondent dissidence et subversion, des groupes de citoyens peuvent être conduits à s'engager dans la violence contre ceux qu'ils perçoivent comme des fauteurs de trouble.

Le système de la justice criminelle peut être vu comme « créateur » de la contestation et de la violence (du moins en les reconnaissant officiellement) [45] quand il choisit certains actes, les définit comme violences et traite en dangereux criminels ceux qui les commettent. Il est imposant d'étudier ce processus de définition où le comportement de certains groupes est mis en épingle et considéré comme subversif et violent, tandis que le comportement d'autres groupes (dont les vues sont peut-être plus proches de celles des autorités ou qui sont protégés par de puissants intérêts) ne retient pas ou peu d'attention. L'étude de l'histoire de l'attitude de la police à l'égard du Ku Klux Klan et des groupes noirs désireux de changements peut être instructive à ce propos.

Si l'on considère cependant les agents provocateurs et l'éventualité du traquenard, on peut ajouter une nouvelle dimension à l'analyse du comportement déviant [46]. Non seulement les parangons de la morale ont joué un rôle dans la définition de certains comportements comme illégaux, mais aussi les « parangons du respect de la loi  peuvent inciter alors certaines catégories de gens à enfreindre ces règles ou à se vanter de l'avoir fait. La tendance des autorités à créer le phénomène qu'elles contrôlent se retrouve à nouveau.

Si la distinction entre le crime et la politique est rendue floue, la police, qui a déjà une expérience de l'utilisation des indicateurs, de l'infiltration et occasionnellement du guet-apens en matière de crime traditionnel, peut simplement déplacer ses ressources et utiliser son expérience passée et ses méthodes pour les appliquer aux groupes politiques, en dépit des différences importantes entre les deux phénomènes. Ce doit être plus particulièrement le cas à l'encontre des « Black Muslims » et des Panthers dont les mouvements recrutent des activistes au statut social bas et souvent avec un passé criminel. La police fera, semble-t-il moins facilement de la provocation avec d'autres militants comme ceux du mouvement des Droits civils ou des mouvements de la paix dont le recrutement est plus bourgeois.

On a souvent noté la responsabilité des autorités dans une société démocratique quand poussant des groupes à la clandestinité, elles les rendent révolutionnaires (ou plus révolutionnaires qu'ils n'auraient dû l'être) en leur refusant l'occasion d'être autre chose [47]. La position de plus en plus révolutionnaire et le recours à des formes de violence telles que l'autodéfense et le coup-pour-coup des Black Panthers (qui démarrèrent avec des idées de réforme locale) sont un bon exemple. Leur développement ultérieur n'a été qu'en partie le simple épanouissement de leur idéologie interne et des caractéristiques et vœux de ses membres. Des Panthers tués par la police, des perquisitions dans leurs locaux, une surveillance extensive et l'utilisation d'agents clandestins, le refus des libertés civiques fondamentales comme le droit de faire des discours politiques et de diffuser leur littérature, des arrêts abusifs pour entrave à la circulation, un acharnement général et la stigmatisation par les leaders politiques nationaux, eurent un effet important sur leurs convictions et sur leur comportement, et contribuèrent à rendre enfin véridiques les affirmations de la police qui les accusait d'être un groupe révolutionnaire violent.

Sauf dans les États du Sud, les complots politiques compliqués où des représentants de l'ordre sont impliqués (comme dans le film « Z » ou dans la conspiration de Cato Street en Angleterre) sont probablement rares. Les coups montés d'agents provocateurs arrivent surtout quand (cas du Meriden et de Seattle) la police subit une pression de la part de l'opinion et des autorités pour démêler des crimes bien déterminés et quand elle a la conviction que ceux qui ont été arrêtés sont coupables d'autres crimes graves mais manque de preuves tangibles à fournir à la cour [48]. Ici la thèse de Merton sur la déviance qui émerge quand les moyens et les fins sont peu intégrés s'applique aussi bien aux déviants qu'à la police. L'indicateur est probablement, aux États-Unis, bien plus couramment utilisé que ne l'est l'agent provocateur [49]. Cependant, dans le but d'une compréhension sociologique, nous ne négligerons pas le premier. Même lorsque le contrôle social par l'informateur ne va pas au-delà de l'observation passive et de la participation, celui-ci contribue à perpétuer un groupe contestataire en offrant des ressources et le support moral d'un autre soi-disant sympathisant, aide dont ceux qui prennent des positions impopulaires et qui engagent des actions illégales sont toujours avides. La nature du groupe ne peut pas ne pas être affectée de la présence de tels étrangers même en l'absence d'actions illégales. Il existe des histoires humoristiques des années 30 sur le rôle décisif que le FBI pouvait jouer dans les votes des leaders du Parti communiste américain pour peu que le bruit coure que des agents étaient présents. Cela est vrai du rôle d'observateur participant en général. On songe par exemple à ces trois psycho-sociologues qui décidèrent secrètement de se joindre à un petit groupe chancelant qui prédisait la fin du monde pour l'observer. Or, involontairement ils lui impulsèrent une nouvelle vitalité [50]. Qui s'intéresse aux mouvements sociaux doit être conscient « des effets de l'expérimentateur, autant que des effets de l'agent informateur ».

Il ne semble pas qu'il y ait beaucoup de règles claires, légales, administratives ou morales en ce qui concerne le recours à l'infiltration. Quand on passe des situations où un crime grave a été commis à celles où le groupe est simplement perçu comme « dangereux », le recours aux agents pose davantage de problèmes et risque davantage de favoriser la poursuite de buts segmentaires de la police, d'accomplissement personnel par l'agent et d'avoir des effets destructeurs pour les libertés.

Pendant les années 30, les espions des syndicats eurent pour effet le Wagner Act qui a rendu hors-la-loi l'emploi d'agents clandestins pour prévenir la syndicalisation. Quelques États promulguèrent des lois qui obligeaient les détectives à être déclarés, mesures il est vrai plutôt dirigées contre les polices privées. Certains juristes ont soutenu que les agents clandestins, à moins d'être autorisés par les cours de justice, violaient les premier, second et quatrième amendement et ont soutenu que leur utilisation était sujette aux mêmes restrictions, telles que l'écoute téléphonique, l'enquête et la détention préventive.

La majorité des renseignements recueillis par les indicateurs n'est pas mentionnée dans les affaires qui sont jugées au tribunal. Deux observateurs de la police remarquent : « l'indicateur le plus valable est probablement celui qui n'apparaît jamais devant la cour [51]. Un agent du FBI, qui démissionna après avoir travaillé pendant 3 ans sur les groupes extrémistes, rapporte qu'il n'est jamais tombé sur une information qui aurait pu servir de témoignage à l'appui d'une accusation de violence criminelle [52].

Si l'utilisation des indicateurs politiques n'a que très rarement des conséquences sur les affaires qui sont jugées, quelle en est alors la justification ? Les différents types d'indicateurs, les contextes variables dans lesquels ils agissent, les différentes formes d'instances policières rendent difficile toute généralisation. Certes il y a aussi l'argument manifeste, qui reçoit un certain appui de la loi et de l'opinion publique, d'après lequel c'est une mesure défensive ou préventive contre d'éventuelles violations à caractère criminel. Les agents peuvent fournir une information à propos d'un vague délit de conspiration. Un crime qui permet l'intervention légale avant toute action d'envergure arrive réellement. Mais pour qu'il arrive, l'infiltration est nécessaire.

De même que dans les délits sans victimes (narcotiques, prostitution, jeu, homosexualité) où l'État et non un individu est partie civile, le recueil des preuves demande probablement une grande initiative de la part des représentants de l'ordre et l'utilisation d'agents clandestins avec tous les risques que cela comporte (coups montés et recherche d'auto-satisfaction). Cependant les vraies affaires de conspiration politique bien détectées sont très rares.

La raison latente (ou tout au moins la conséquence) de l'utilisation des agents peut être d'épuiser, de contrôler et de combattre ceux qui – bien que ne violant pas vraiment la loi – ont des options politiques et mènent une vie qui vont à l'encontre de la société dominante. Il est difficile d'avoir une autre interprétation de l'existence d'un Bureau de contre-espionnage au FBI dirigé contre la Nouvelle Gauche et qui, vraisemblablement, est l'inspirateur d'articles de presse selon lesquels on devait s'attendre à des actes de violence dans les manifestations pour la paix et qui disaient les organisateurs être communistes. On peut noter d'autres actions de ce bureau : impression et distribution de brochures donnant une information fausse sur le lieu et l'heure des meetings des marcheurs de la paix ; et à propos d'une des longues marches de la paix de Washington, envoi d'une lettre falsifiée à son organisation « The National Mobilization Committee » disant que les Noirs de Washington, D.C. ne soutiendraient pas la marche si on ne remettait pas à une organisation noire 20 000 dollars [53].

Les agents peuvent aider à stigmatiser publiquement un mouvement comme violent et lui faire perdre sa base de soutien en encourageant ses membres à commettre des actions violentes pour lesquelles ils sont arrêtés. Ils peuvent aussi contribuer à créer un climat de tension à l'intérieur du mouvement et de suspicion qui inhibera ses actions [54]. On rapporte que le FBI, avec des agents dans les deux fractions, joua un rôle important dans la scission des Black Panthers entre Huey Newton et Eldridge Cleaver. Ainsi un préjudice considérable peut être porté à un groupe impopulaire (bien que légal) sans entraîner nécessairement des sanctions judiciaires. Comme ces actions sont secrètes, les libertés civiles semblent préservées et les affaires qui seraient rejetées par la cour ne sont pas dévoilées. On peut voir dans l'utilisation des agents un moyen par lequel la police peut mener une action conforme à sa propre idée de la justice, indépendamment des contraintes du droit positif.

On peut mettre cela en relation avec la relative faiblesse de l'appareil de contrôle social américain et la force des contraintes de la loi : il faut que les gens aient commis réellement (ou au moins prévu de commettre) les actes pour lesquels ils sont poursuivis en justice.

Cela contraste vivement avec la situation commune dans les systèmes de contrôle social plus autoritaires, où, comme lors des purges staliniennes de 1936-38, des hommes sont traités comme rebelles et hors-la-loi pour des actes qu'ils n'avaient pas commis [55]. Les différents artifices de contrôle social analysés ici sont, ironie de la réalité, en partie fonction du degré élevé des droits civils reconnus dans la société américaine. Dans une telle société, quelque graves que soient les bavures dans la répression de ceux qui sont perçus comme politiquement indésirables, on peut comprendre, que les autorités se sentent obligées d'assurer une surveillance aux limites de la légalité voir de provoquer des illégalités pour les mieux stopper.

Un courant important en sociologie met l'accent sur les changements interdépendants qui se produisent entre différentes unités sociales. Une des meilleures données qui ait été tirée de l'étude de la déviance et des institutions totalitaires est le degré surprenant d'interdépendance, si ce n'est une sorte de coopération hostile qui existe entre ceux dont on pourrait croire qu'ils se livrent une guerre, tels la police et les criminels et les gardiens et les prisonniers. Il en va de même pour les mouvements sociaux et les autorités [56].

Ni les hommes, ni les mouvements sociaux ne sont des îles. De tels mouvements doivent être étudiés en relation avec leur environnement. Un des aspects cruciaux de cet environnement sont les autorités politiques et la police.

Le propos de cet article n'est pas d'accorder une primauté causale au rôle des agents. La démonologie inhérente à une telle perspective serait particulièrement déplacée chez un praticien des sciences sociales averti. Cependant les agents sont souvent plus que les épi-phénomènes qu'on aime voir en eux. L'ironie qui fait que les autorités créent ce qu'elles doivent contrôler et la nature non intuitive du sujet en font un objet digne de l'analyse sociologique [57].

Même si les agents ne sont qu'un facteur parmi tant d'autres, ils sont intéressants parce que leur importance n'est pas assez souvent reconnue et parce que, dans une société ostensiblement démocratique, il est plus moral et peut-être aussi plus facile de tenir le gouvernement et ses agents pour responsables, que les activistes, même quand ils dénient toute légitimité au gouvernement.

La compréhension du rôle des agents provocateurs et des indicateurs vaut certainement la peine d'une étude plus approfondie (même si le Département de la Justice ne veut pas fonder un institut à cette fin). Elle peut attirer l'attention sur l'importance d'une analyse micro-sociologique pour comprendre les mouvements sociaux et sur la nécessité d'étudier les mouvements en relation avec leur environnement politique. Elle peut nous sensibiliser à la nécessité de fonder nos constatations concernant les mouvements sociaux sur des observations empiriques minutieuses et peut nous conduire à une évaluation du rôle de l'interaction et des conditions de l'émergence de plus d'un comportement collectif au-delà de l'impact causal de l'histoire, des grandes variables sociales et structurelles, et des caractéristiques de la personnalité et des attitudes des activistes. Ceci est particulièrement vrai pour toute action violente donnée. Dans la tradition de Erving Goffman, on peut apprendre un nombre considérable de choses sur les problèmes délicats d'identité et de la construction du moi en observant ceux qui projettent consciemment de « faux » moi.

 

Notes:

1. Peter Berger, Invitation to Sociology, New York, Doubleday. Traduit en français.

2. D'un autre côté, certains mouvements sont assez fiers de revendiquer quelque acte de violence, même s'ils n'en sont pas responsables.

3. Un ancien Black Panther parle ainsi de ses anciens associés : « quand ils voulaient se débarrasser de quelqu'un, ils disaient que c'était un indicateur travaillant pour le FBI, la CIA ou les départements locaux de la police ». (McClelland, Committee Investigation, p. 76).

4. Selon un homme du FBI : « il était très facile de s'infiltrer dans les groupes de la Nouvelle Gauche puisqu'elle avait besoin de beaucoup de volontaires ». Tout ce qu'avait à faire notre agent, c'était se présenter à la permanence et faire état de son opposition à la guerre et son souhait de se rendre utile. Il était peu probable qu'on lui demande de prouver gon allégeance au mouvement. Ainsi, avec un petit effort supplémentaire, il avait accès aux listes de correspondance, aux noms des participants, aux brochures et tracts et pouvait rendre compte en détail de tout meeting prévu. R. Wall, Special Agent for the FBI, The New York Review of Books, January 27, 1972.

5. Les cas qui sont rendus publics minimisent sans doute le rôle de la police assermentée puisque les agents plus expérimentés ont probablement moins de chances de se laisser démasquer.

6. Il y a bien sûr des exceptions. Ainsi, Robert Pierson, qui avait été assigné par le Bureau du procureur de l'État de l'Illinois et avait servi de garde du corps à Jerry Rubun pendant la Convention Démocrate, était diplômé de l'École de Formation du FBI, de l'Académie de police de Chicago, du Service de Contre-espionnage de Fort Holabird et était aussi un vétéran du Service de Contre-espionnage de l'armée.

7. Presque la moitié des dossiers du FBI de Pennsylvanie concernait des affaires politiques. C'est loin d'être le cas de la police locale.

8. Par exemple, E. Goffman, Strategic Interaction. New York, Ballantine Books, 1972.

9. Dans un mémoire du FBI qui met l'accent sur la nécessité pour chaque agent d'accroître son nombre d'indicateurs dans les ghettos et qui propose des moyens pour y parvenir, les agents sont informés que des contacts réguliers devraient avoir lieu avec les indicateurs criminels et de sécurité déjà en place, pour qu'ils soient sans doute reconvertis. On demande aux agents également « de s'informer immédiatement – auprès de tous les indicateurs noirs, même ceux des ghettos – sur ceux qui ont l'intention de s'inscrire au collège cet automne et seraient susceptibles de s'infiltrer dans les groupes du « pouvoir noir » sur les campus. Le Bureau demande qu'on lui fournisse l'identité de ces indicateurs et le nom des collèges où ils comptent aller », Win, March 1972, p. 53-54.

10. Il semble qu'il y ait un échange considérable et une utilisation diverse des indicateurs par la police. Ainsi un agent provocateur impliqué dans l'affaire « Los tres del Barrio » de Los Angeles avait travaillé comme indicateur pour le FBI, le Bureau Fédéral des Narcotiques, la Division « Alcool, Tabac, et Armes à feu » du Département du Trésor, le Département de la Police de Los Angeles et l'Unité des Services Spéciaux du Département Californien des Peines, L. A. Free Press, February 4, 1972.

11. Cf. le black panther condamné au Texas à 20 ans de prison pour avoir eu une cigarette de marijuana – qu'on lui avait glissée dans la poche, affirme-t-il.

12. Cet indicateur tenait aussi un bar ; en fait, tous les manuels de police sur les indicateurs précisent que ceux qui travaillent dans les tavernes sont de bonnes sources d'information. On demande au FBI de recruter plus particulièrement les indicateurs des ghettos parmi les propriétaires ou le personnel « des tavernes, des débits de boisson, des pharmacies, des bureaux de prêts, des armuriers, les coiffeurs, les concierges, etc... et parmi les gens qui fréquentent la zone des ghettos comme les chauffeurs de taxi, les représentants, les vendeurs de journaux, etc. », Win, op. cit., p. 52.

13. M. L. Harney et J. C. Cross, The Informer in Law Enforcement, Springfield, C. Thomas, 1960.

14. Les nouveaux immigrés peuvent avoir d'autres problèmes qui les poussent à coopérer avec les autorités. On signalait des déboires avec l'Office d'Immigration dans mainte affaire criminelle. La femme qui donna des renseignements sur Dillinger et était responsable de sa mort, alla à la police avec l'espoir de s'éviter la déportation en Roumanie. Pierre La Fitte, qui aida le Bureau Fédéral des Narcotiques à démanteler plusieurs réseaux, avait de difficultés à se faire naturaliser.

15. Un tel commerce remonte à loin. La Bible dit : « Et la maison de Joseph, ils partirent aussi contre Bethel ; et le Seigneur était avec eux. Et les espions virent un homme qui arrivait de la cité et ils dirent montre nous, nous te prions, l'entrée de la cité et nous te montrerons notre reconnaissance. Et quand il leur monta l'entrée de la cité, ils frappèrent la cité avec le fil de l'épée ; mais ils laissèrent aller l'homme et sa famille ».(Juges, I, 22, 24, 25).

16. Nelson, Los Angeles Times, February 13, 1970. Dans cette affaire, les indicateurs avaient reçu assurance écrite qu'ils ne subiraient pas de poursuites judiciaires pour plusieurs affaires d'explosion à la bombe commises sur des églises.

17. P. Jacobbs, Investigative Reports, October 6, 1971, script pour un spectacle de télévision. De telles considérations peuvent conduire à s'interroger sur la remarque de J. Edgar Hoover : « À l'encontre des pratiques totalitaires, l'indicateur en Amérique sert de son plein gré et remplit là une des obligations d'un citoyen, dans notre forme démocratique de gouvernement », in Hartney and Cross, op. cit.

18. Win, op. cit.

19. Selon une source de la police : « La plupart de cet argent est dépensé en cigarettes, sandwiches et bonbons pour les indicateur qui ont faim. Ces petites faveurs créent une atmosphère amicale sans qu'il y ait vraiment trace d'une rétribution de l'indicateur par l'officier de police », Municipal Police Administration, International City Management Association, 1971, p. 162.

20. Win, op. cit.

21. Déclaration sous serment de Robert Hardy, Camden Defense Commettee.

22. Un jeune homme qui avait accepté de travailler pour le FBI, mais espérait être un agent double, rapporte : « J'avais très peur d'être arrêté. Je suis terrifié par la police mais je voulais avoir des activités révolutionnaires. Je voulais faire des gros coups et être sûr de ne pas être arrêté. Je pensais pouvoir faire passer plus de choses, répandre plus l'agitation sans être inquiété. Je pouvais faire un discours pour radicaliser la position des gens, et si un agent secret l'entendait, je n'étais pas arrêté. Je pouvais dire ouvertement que j'étais un extrémiste violent. De cette façon, je pensais faire financer les activités du mouvement par le gouvernement. Je pouvais donner au mouvement des renseignements sur les intentions du gouvernement, sans me compromettre », Chevigny, p. 243. « Corps and Rebels », Random House, New York, 1972.

23. Boris Nikolajewsky, « Assef the spy : Russian terrorist and police stool », Doubleday, Garden City, 1934.

24. Win, op. cit., p. 29.

25. L. Huberman, Labor Spy, New York, Modern Age, 1937, p. 96-97. Le service secret du département du Trésor, tout comme l'industrie faussaire a prit de l'importance pendant la guerre civile. Ce fut le résultat d'une politique qui offrait des récompenses pour la saisie de fausse monnaie qui se développa quand les États-Unis décidèrent de mettre en circulation du papier monnaie. Beaucoup de faussaires trouvèrent apparemment plus sûr et plus avantageux de vendre leur production au gouvernement.

Tout système de rémunération de l'information sur les délits – lorsque les transactions originales ne peuvent être observées – Lindesmith et d'autres auteurs rapportent que les trafiquants de drogue mexicains peuvent gagner un revenu double en disant aux officiers des douanes américaines à quels Américains ils viennent de vendre de la drogue. A. Lindesmith, « The addict and the law », Random House, New York, 1967.

« Agent provocateur » est un mot français et le système des indicateurs est particulièrement développé en France. Le système français du « correspondant honorable » qui travaille sans sympathie, par peur du chantage et pour des petites faveurs n'est pas vraiment développé aux États-Unis. La police français ne paie que rarement les indicateurs et pense que les Américains se créent beaucoup de difficultés en le faisant.

26. Les activistes sont si conscients de la part de « bluff » de leurs propos qu'ils en arrivent à ignorer les détails qui trahissent l'agent. Commentant l'offre d'un infiltrateur new-yorkais de fournir des fusils aux « Panthers », un inculpé rappelle : « Je suppose que le discours provocateur de l'agent aurait dû me rendre méfiant. Mais on parle beaucoup à tort et à travers dans de telles circonstances. Allons là et faisons ça, allons là et faisons ci. Demain on n'en parle plus ; dans 99 % des cas, on ne fait pas tout ce que l'on dit », Chevigny, op. cit., p. 103.

27. Pourtant le secret pose également des problèmes aux agents clandestins. Ils peuvent être matraqués comme d'autres manifestants. Un règlement de compte entre deux gangs rivaux en France révéla la présence d'agents dans les deux camps et la police de Washington tua récemment un agent clandestin impliqué – pour son travail – dans un hold up à main armée. Des agents des narcotiques peuvent vendre de la drogue à des collègues et les arrêter. Pour des raisons stratégiques, les agents ne se connaissent souvent pas entre eux, ils peuvent essayer de se racoler et de s'attraper les uns les autres.

28. G. Eastman, Municipal Police Administration, International city management association, 1971, p. 159.

29. F. Donner : « Theory and practice on domestic intelligence » ; New York Review of Books, 1971.

30. Win, op. cit.

31. Karmen, « Agents provocateurs » in Radical Criminology, p. 21.

32. Win, op. cit., p. 29.

33. Municipal Police Administration,op. cit., p. 162.

34. M. McCann, p. 44, « The police and the confidential informant », M. A. Thesis ; Indiana, 1954.

35. Un agent déclare que pour avoir son contingentement, il alla jusqu'à relever des noms dans un annuaire téléphonique et à écrire des rapports qu'il leur attribuait. Wall, op. cit.

36. L'information erronée que recueillent les autorités n'émane pas uniquement des indicateurs véreux qui disent ce que les autorités ont envie d'entendre. Lorsque les indicateurs donnent sur un groupe des informations exactes qui vont à l'encontre de ce que les autorités supposent sur la nature extrémiste du groupe, il arrive qu'elles n'en tiennent pas compte. Un agent chargé de s'infiltrer dans un groupe supposé responsable d'attaques à la bombe dans l'est de Los Angeles rapporte qu'il n'entendit aucun discours violent et que les buts du groupe étaient de développer les initiatives personnelles, l'enseignement de l'anglais aux émigrants et d'éliminer les narcotiques de leur communauté. Après avoir rendu compte de ces faits à la police, il déclare qu'on lui rétorqua que « son information était de la frime et qu'on allait dissoudre de toute façon l'organisation par tous les moyens ». Los Angeles Free Press, February 4, 1972.

37. Commentant le cas d'un agent repentant qui fit une déclaration sous serment au profit de la défense dans l'affaire de Seattle, University review note : « il y a toujours la possibilité que le FBI fasse faire surface à un de ses agents pour répandre la confusion et donner aux agents une nouvelle entrée dans le mouvement ».

38. New York Times, June 4, 1972.

39. B. Seale, Seize the time, p. 370. Selon Seale « cela même arrêta l'opération d'infiltration de la CIA-FBI chez les Panthers ». On peut cependant se poser des questions à propos des agents qui s'y sont glissés antérieurement et sur les membres qui furent appréhendés par la suite comme agents.

40. Hubermann, op. cit., p. 58.

41. Les cas des syndicats parrainés par la police russe (dont certains quittèrent son emprise et prirent part à la grève générale de 1903) et de Malinowski, agent de la police et collègue de Lénine, dont les discours extrémistes favorisaient la scission entre les Mencheviks et les Bolcheviks et encouragèrent la répression qui aida la révolution, en sont des exemples.

42. Pour ce qui est de la marijuana, cf. l'article de Lindesmith in M. Clinard, Anomia and Deviance.

43. Le problème ce pose pour beaucoup d'organisations chargées de résoudre des problèmes pour lesquels nous manquons de mesures d'évaluation adéquates. Si la police semble échouer dans son action contre le crime et le désordre, sa compétence peut être mise en cause et une pression pour des changements en son sein peut se faire sentir. Si elle se révèle très efficace, ses crédits peuvent diminuer. L' « idéal » d'une telle organisation c'est de donner l'impression qu'il existe un problème sérieux, mais qu'elle est capable de le traiter avec des crédits appropriés et l'assurance d'une aide.

44. Plus généralement, on pourrait dire que les autorités provoquent la contestation qu'elles combattent tout en profitant des conditions qui conduisent les groupes à contester et en ne réussissant pas à les changer.

45. Il peut les créer en les définissant ou au contraire en refusant de les nommer ; la Cour Suprême déclara les premiers sit-in légaux et a accordé la légitimité aux syndicats et aux grèves. Le processus est d'ailleurs bien plus compliqué et n'est pas dû uniquement aux ambitions d'une bureaucratie vorace. Tout bâtisseur d'empire qu'il était, J. Edgar Hoover ne chercha pas très sérieusement à développer un système de police nationale criminelle fort.

46. H. Becker, Outsiders, Free Press, Glencoe, Illinois, 1963. – E. Schur, Labelong Deviant Behavior, New York, Harper and Row, 1971.

47. Les agents qui sont dans un mouvement et qui ont des positions extrémistes peuvent bien sûr aider un groupe à prendre (ou garder) des directions révolutionnaires. En 1922, l'agent K. 97 du FBI joua un rôle décisif à la convention du parti communiste clandestin qui s'interrogeait sur le point de savoir s'il devait ou non sortir de l'ombre. Son vote favorable à la continuation de la clandestinité provoqua une rupture parmi les membres authentiques. T. Draper, The roots of communism,   New York, Viking Press, 1957, p. 373, cité par Chevigny, op. cit, p. 251.

48. Le détective impliqué dans l'affaire du Meriden Klan raconte à Jack Nelson, reporter à Los Angeles Times qui le découvrit : « il n'y a jamais de bon moyen pour traiter une affaire de ce type, mais celle-ci a été traitée de la seule manière possible... J'espère sincèrement que vous comprendrez ma position ». Tandis que les affaires que nous rapportons ici devraient déclencher l'indignation de ceux qui respectent les traditions des libertés civiles et de la justice, je trouve difficile de prendre une position ferme, même au niveau des sentiments, à cause d'affaires comme celle qui précède. Dans la foulée de l'affaire Meriden une vague de terreur entraînant des attaques à la bombe dans des églises et des synagogues déferla sur le Mississippi. Les attentats contre trois militants des Droits civils en été 1964, contre Viola Luizza après la marche de Selma-Montgomery, contre le colonel Lemuel Penn en Georgie et Vernon Dahmer au Mississippi n'auraient pas été démêlés sans l'aide d'indicateurs. Un complot contre la vie de Ceasar Chavez a été effectivement évité grâce à l'action d'un indicateur payé. Le meurtrier présumé fut arrêté quand il tentait de vendre 1000 comprimés d'amphétamine à un agent du département du Trésor ; New York Times, Jan. 2 ; 1972. La commission d'enquête Knapp sur la corruption de la police semble avoir recueilli des preuves contre la police grâce à des techniques similaires à celles utilisées contre les revendeurs de drogues et les extrémistes.

49. Au États-Unis, cela semble moins développé par des moyens traditionnels que dans d'autres parties du monde. Peut-être la relative ouverture de la société, les traditions anglo-saxonnes de liberté civile, l'insuffisance d'un système judiciaire décentralisé y contribuent. Bien que ce dernier soit peut-être générateur de plus grands abus, lorsqu'on utilise des agents. La nouvelle technologie peut rapprocher aussi les États-Unis des pays européens.

50. Festinger et al., When prophecy fails.

51. Hartney et Cross, op. cit., p. 17.

52. Wall, op. cit.

53. Wall, op. cit.

54. Réponse d'un sergent de police qui joua un rôle crucial dans l'incident Meriden, à un reporter enquêtant sur l'épuisement du Klan : « Nous les épuisions tous, c'était notre boulot. Ils avaient constamment peur que nous ayons installé quelqu'un. Nous leur faisions une peur bleue ». Une logique similaire peut s'appliquer à une directive du FBI qui justifie les instructions à ses agents d'interroger ceux de la Nouvelle gauche à chaque occasion parce que « ça augmente la méfiance endémique de ces cercles et évitera au FBI de planter un agent derrière chaque poteau ». Win, op. cit., p. 28.

55. Walter D. Connor, « Manufacture of deviance ; the case of the soviet purge – 1936-1938 », American Sociological Review ; August 1972, Vol. 32, no 4.

56. Voir A. Gollin, « Social control in non violent protest », communication aux A.S.S. Meetings, Denver, Colorado, Sept. 1971, pour cette interdépendance dans le mouvement des droits civils non-violents.

57. Les sociologues des mouvements sociaux et l'histoire peuvent être privés d'événements sensationnels par les actions de la police, de la même façon qu'ils peuvent être comblés par elle. Parlant des actions de « très nombreux agents clandestins de différentes villes », appartenant pour la plupart au Département du Trésor « avec des cheveux longs, des barbes et une connaissance approfondie des travaux internes de politique extrémiste » qui sont venus à New Haven pendant la grande manifestation de mai assez calme organisée par les Black Panthers, l'ex-chef de la police James Ahern rapporte les actions ultérieures qui arrivèrent parce que la police avait intercepté les communications de la radio des Panthers : « pendant que nous regardions les Panthers et écoutions leur radio, on les entendit se lancer des ordres « va voir un tel et vois si tu ne peux pas faire démarrer quelque chose ». Un Panther se détachait du groupe et se frayait un chemin vers un lieu donné. Le temps qu'il commence son discours, un agent était là. Si le discours semblait inciter la foule à la violence, l'agent essayait d'amplifier la situation en criant : « Je pensais, les gars, que vous ne vouliez pas de trouble ? » et « Que voulez-vous que nous fassions ? Se faire tuer ? », James F. Ahern, Police in Trouble, Hawthorn Books, New York, 1972, p. 63. Pour l'affaire des deux sociologues contre-provocateurs, voir R. Shellox et D. Roemer, « The riot that didn't happen », Social Problems, Fall, 1966.

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